LA VENTE INDISCRÈTE & HABIS - Madeleine-Angélique Poisson, Madame Gabriel de Gomez (1684-1770)

LA VENTE INDISCRÈTE

Une écrivaine du 18ème siècle que je vous invite à découvrir à travers deux de ces textes

Par Olivier Douville

Dame Gabriel de Gomez est née Madeleine-Angélique Poisson le 22 novembre 1684. Elle décéda à Saint-Germain-en-Laye le 28 décembre 1770. Fille du comédien Paul Poisson et de Madame Angélique Gassot-Ducroisy, elle écrivit sa première pièce à vingt-deux ans. Les raisons de sa précoce vocation sont les suivantes : elle convola avec un gentilhomme espagnol, Don G. de Gomez qu'elle crut riche alors qu'il était sans fortune et de dettes accablé. Pour faire face à la cruelle nécessité, elle tira parti de son talent et de son goût pour les lettres afin de trouver de quoi vivre.

La voilà tout de même veuve avant 1763. Elle ne tarde point à se remarier avec un nommé Bonhomme, mais elle gardera son nom de plume.

Née dans une famille toute vouée au théâtre, Madeleine-Angélique était la petite-fille de Raymond Poisson (1633-1690). Ce dernier perdit fort jeune son père, qui était un savant mathématicien. Il abandonne son protecteur, le duc de Créqui pour jouer la comédie. Louis XIV, qui l’apprécie, en fait un de ses comédiens. Il fut alors lié à Colbert au point que le ministre devint le parrain d'un de ses sept enfants, un fils. Comédien de L'Hôtel de Bourgogne et, là, créateur du rôle de Crispin (célèbre pour ses longues bottes), il campa avec bonheur cette silhouette qui fut heureusement employée depuis par Regnard. Raymond Poisson est aussi connu en tant qu’auteur de pièces qui eurent un certain succès : Le sot vengé (1661), Le Fou raisonnable (1664) et, surtout, le Baron de Crase (1664 env.)

Le père de Madeleine-Angélique, Paul Poisson (1658-1735), et, de même son frère, Philippe (1682-1743) furent, eux aussi acteurs et auteurs. Les boîtes de Pandore (1729) et Les Ruses d'amour (1736) sont deux pièces signées de Philippe.

Femme écrivain au XVIIIème siècle, bien davantage contemporaine de Madame de Tencin ou de Madame de Lintot que de Madame Riccoboni, Olympe de Gouges ou Madame de Staël, Madame de Gomez opte pour l’aventure littéraire, à un moment où l’on ne finissait pas de débattre des dispositions des femmes pour la création. Le XVIème siècle lança la grande querelle des femmes, et des écrits de controverses paraîtront encore à foison jusque vers le milieu du XIXème siècle. Son éducation est toutefois assez soignée et la dévotion que sa famille montrait pour l’écriture et le jeu théâtral a marqué son enfance et son adolescence. On trouvera ici une indication précieuse de cette culture théâtrale dans Habis[1]. Élevée dans une forme d’admiration des arts, sa formation peu étendue et sa crainte de tomber dans des accusations de pédantisme, l’inégalité de son talent aussi, la font s’exprimer dans les gammes de l’anecdote, à travers les tonalités et les facilités d’un orientalisme dans le goût du jour, donnant à chacune de ses historiettes un cadre à la fois exotique et bancal. Assez adapté aux sensibilités d’un public mondain qui goûte les récits des voyageurs et cherche une saveur d’authenticité pittoresque dans la fiction, le climat des nouvelles de Madame de Gomez épargne toutefois aux lecteurs la peine de pénétrer les complexités du sentiment et l’épaisseur du réel.

En ce sens la série la plus connue des écrits de Madame de Gomez : “ Les cent Nouvelles Nouvelles ” n’échappe qu’assez fortuitement aux conventions narratives. La Vente Indiscrète, compte cependant parmi les plus élégantes et judicieusement composées de ces nouvelles.

Cette formule, comme notre auteur la pratique, entretient peu de rapport avec les fabliaux, le Novelettino italien ou encore avec le Décaméron dont s'inspiraient les premières Cent Nouvelles Nouvelles du XVIème siècle français. Sans doute constitue-t-elle un cadre au sein duquel une certaine liberté de ton restait permise, une occasion de faire, de temps à autre, preuve de fantaisie.

À la manière de restes diurnes, de bribes de mémoires se condensant dans les apprêts de la fiction, certaines nouvelles de Madame de Gomez déchirent le voile de la mignardise ou de l’exotisme de bazar. Le macabre, le comique, le sens de la situation absurde, surgissent puis s’imposent avant d’être faiblement gommés par la morale. Cette dernière ne fait heureusement point trop violence à la séduction bizarre et un peu plus vénéneuse qui émane de certains récits… La nouvelle L’amant rival a pu être tenue, par exemple, pour une lointaine influence de la Marquise d’O de Kleist[2].

Le style, qui résiste parfois à se corroder en mièvrerie, l’inspiration qui sait se montrer fantasque, le climat un peu naïf, et très révélateur des penchants du XVIIIème siècle pour un exotisme divertissant, tout cela fait bien de Madeleine-Angélique de Gomez un auteur assez insolite qu’il fallait exhumer de l’anonymat et de l’oubli qui dure depuis trop longtemps.

Olivier Douville

[1] Le manuscrit de la pièce a été déposé le 17 avril 1714. La représentation reprit le 14 mai 1732 pour vingt-six représentations de suite, avec Mademoiselle Desmares, première dédicataire de l'édition de 1724 ; le succès d'Habis fit accuser Madame de Gomez d'avoir eu des collaborateurs occultes ; elle s'en défendit fortement dans une préface ici éditée. Habis fut publiée en 1724, mais antérieurement éditée à Amsterdam en 1718 dans un ouvrage composite qui réunit d'autres auteurs que Madame de Gomez.

[2] Cf Romantiques Allemands, tome 2, Paris, Gallimard, collection La Pléiade, note 1 de La Marquise d’O, page 1586.