Psychose, perversion, névrose - Philippe Julien
Toulouse, Érès, Collection “ Point hors ligne ”
Par Olivier Douville
Les nominations de névrose, de psychose et de perversion s’affranchissent d’une stricte connotation sémiologique pour atteindre à une pertinence anthropologique. Avec l’homme moderne, né de la civilisation scientifique et technologique elles désignent bien autre chose que des maladies mentales. C’est, à la résumer sans doute trop hâtivement, la thèse que P. Julien défend dans ce livre.
Passage, donc d’une approche structurale en psychopathologie à une modalité de présentation de la situation de l’homme moderne, dépendant de cet état du discours qu’est le discours de la science, là où il fait collusion avec le discours du capitalisme – ce dernier discours était parfois tenu par certains lacaniens pour un cinquième discours. La possibilité de rendre compte du type de subjectivité propre à notre temps trouverait-elle dans le maniement de la logique et de la topo-logique une possibilité de s’écrire qui s’émanciperait, enfin, des vaines déplorations sur les divers déclins des fonctions patriarcales et des mythologies religieuses, déplorations qui rencontrent, aujourd’hui un si vif succès ! Il est permis de l’espérer
Le point de départ de la pensée de P. Julien est souvent emprunté par d’autres. Il s’agit de pointer la naissance d’un nouveau discours né au XVII° siècle (on reconnaît là les constructions cartésiennes, au reste asses solidement envisagées par G. Pommier ou G. Le Gaufey), celui de la science. Ce point de départ des temps modernes, une fois choisi, ce que Hegel fit, en son temps tenant Descartes pour le point de départ de la modernité, il s’ensuit que la science qui fonctionne sur l’exclusion du sujet (et non sa forclusion) permet de rendre le sujet amnésique de la tension subjective qui le raccorde à l’ordre du désir. C’est l’écrasement du désir en tant qu’énigme qui est ici patent, l’homme moderne oubliant l’interrogation sur son être. Je ne sais, pour ma part, si l’homme pré-moderne était à ce point apte à ne pas perdre de vue ce genre d’interrogation, je suivrais, en revanche, Julien lorsqu’il parle de l’universel propre au discours de la science qui subvertit à la fois la langue et les rapports sociaux. Je proposerai alors de discuter le livre de P. Julien avec l’hypothèse suivante : à oublier qu’il n’y a d’Universel que d’un discours qui peut surgir au niveau du particulier, on est conduit à réduire le lien à l’altérité à une mise en place et en acte de la connaissance paranoïaque. Chacun se met à cultiver une forme persécutrice du complexe d’autrui. La connaissance paranoïaque du moi de l’homme moderne (page 31) est à la fois fonction réactionnelle contre l’universel abstrait du langage techno-scientifique mais aussi, ajouterais-je, condition du succès de ce langage dans la fabrique des subjectivités.
Ces prémisses une fois établies, mènent au ressort principal du travail de P. Julien : “ À la question que pose l’antinomie entre langage et parole chez l’homme moderne né de la civilisation scientifique, la réponse du psychanalyste dépendra avant tout de la façon dont il conçoit l’inconscient freudien ” (page 34). La grande incompréhension serait ici de réduire Freud au psychologisme des psychothérapeutes de son époque, en prétendant, comme il le fut écrit, ici ou là, que le psychanalyste qu’était Freud, promettait à ses patients les retrouvailles avec l’objet perdu ! Démontrant, car il en est hélas besoin, que Freud inscrit au cœur du psychisme un principe de perte originaire, P. Julien expose les logiques structurelles d’incomplétude et d’élision propres au sujet auquel la psychanalyse a affaire.
Une anthropologie des modes culturels et sociaux d’effacement de ces logiques retient alors l’attention. Que la modernité exige des modes d’effacement pervers de ces logiques peut alors retenir l’intérêt, et c’est bien le sort actuel de l’inconscient œdipien qui interroge.
Mais alors, et à partir de cette accentuation d’une lecture anthropologique des nouages réels, imaginaires et symboliques qui définissent les coordonnées du rapport du sujet à son corps et à sa parole, on voit bien comment les termes de névrose, de perversion et de psychose gagnent en extension.
La psychose ne désigne-t-elle pas ce qui peut advenir en chacun confronté à la folie de son désir et à l’incertitude de sa monnaie névrotique ? La perversion ne contribue-t-elle pas à définir un état du sexuel ; l’hystérie n’est-elle pas, au-delà d’une névrose, un discours qui bouscule le discours du Maître en exhibant ce qu’il laisse en souffrance ? La subversion hystérique, tel est le titre qui ouvre la dernière section de ce livre, presque, comme le fit autrefois M. Safouan un hommage à l’hystérie ;
Et aussi une ouverture sur l’acte du psychanalyste quand il vient nouer ces dimensions Réel, Imaginaires et Symboliques, ouvrant peut-être à l’invention d’une nouvelle forme d’identification au et par le sinthome ?
Un livre exigeant et nécessaire.
Olivier Douville