Paris, L'Harmattan, 2003 collection "Psychologiques", 341 pages
Chantal Lheureux Davidse - L'autisme infantile ou le bruit de la rencontre.
Contribution à une clinique des processus thérapeutiques.
Par Olivier Douville
Depuis de nombreuses années, l'auteur est psychothérapeute et psychanalyste auprès d'enfants autistes, psychotiques ou handicapés. Elle est encore diplômée des Beaux-Arts.
De cette double formation, de ce double engagement, son livre porte trace.
Le propos qui s'y développe est de mettre l'accent sur les aléas et les logiques de la défense autistique : comment l'enfant se protège du monde tout en se construisant un univers au sein duquel le thérapeute peut se mouvoir. Illustrer cette fabrique (et à certains moments cette co-fabrique) du monde autistique suppose un parti pris et une prise de risque. Le parti pris, salutaire, de ne pas se référer à une théorisation de l'autisme compris en termes de handicap et/ ou de déficit. La prise de risque qu'il y à s'installer dans une relation à long terme avec un enfant autiste et à en rendre compte est ici tout à fait assumée
Avec les travaux de Abibon, de Balbo et Bergès, et avec ceux de Laznik, la clinique psychanalytique de l'autisme connaît des avancées décisives. Chaque auteur développe un champ théorico-clinique qui mobilise les acquis antérieurs, la topologie pour les uns, la métapsychologie pour d'autres, et qui permet proposer des reprises cliniques relatives aux dimensions du pulsionnel, du corps et de l'altérité dans les mondes autistiques.
L'auteur, ici, part du constat d'une tension, presque d'un paradoxe. L'enfant autiste évite la rencontre qui le submerge mais ce, non pour nier l'autre et le réduire à néant, mais pour conserver un lien dit "idéal" aux autres, mais sans leur présence. Forme tout à fait étonnante d'un appui sur le couplage de la présence et de l'absence qui ne fait pas jeu. Éviter la rencontre mais conserver un lien est un processus quia une cohérence économique. L’idée sous-jacente est que l’enfant autistique fut un nourrisson qui n’a pas pu mettre en place de système de pare-excitation suffisamment solide au moment où furent vécues des angoisses catastrophiques d’anéantissement. Ainsi l’enfant qui ne voit pas ses conduites d’appel sollicitées et interprétées répondra par une panique, ou plus largement par des conduites d’évitement aux demandes de l’autre. L’impression que les parents, et plus tard, à leur tour, les soignants, peuvent retirer devant ce corps qui ferme toutes ses portes sera celle d’une annulation de la présence et de l’intentionnalité de l’autre. Ce qui n’aide pas précisément à faire l’économie de la dépression, dépression parentale que des schémas autant vains que dangereux ont vite érigé comme cause de l’autisme de l’enfant.
L’auteur nous invite à prendre en compte les réponses différées que certains autistes font à ces demandes et à ces signes de vie émanant d’autrui. Il est vrai que pour bien s’occuper d’enfants autistes il faut du temps, du temps presque perdu, presque lancé dans le vide de tout suspend de projet, non dans le retrait de toute espérance. Il nous faut du temps pour soigner, on ne soigne pas vite fait et bien fait dans la stricte soumission aux impératifs économistes, ceci est vrai de toutes les grandes psychopathologies et est donc très net dans les cas d’autismes.
Ces réponses différées quelles sont-elles ? Hors contexte immédiat, elles n’en sont pas moins fabriquées fort à propos. Les autobiographies de deux jeunes femmes, autistes socialisés et disposant d’un code, telle Thérèse Joliffe ou Temple Grandin nous renseigne. L’une comme l’autre nous disent à quel point il leur est à la fois ardu d’embrayer sur les premiers mots émis dans n’importe quelle conversation par leur interlocuteur, et comment elles fonctionnent en balayant toutes les associations d’idées qui fleurissent en réseau à partir d’une évocation, d’un mot, d’un situation. Ainsi Temple Grandin, parlant de sa mémoire, explique comment elle balaye et pas en revue toutes les associations et les situations vécues liées aux questions qu’on lui pose. Ce qui donne des réponses finalement trop vastes et sans queue ni tête. On peut se demander si il n’y a pas une façon d’identification « stylée » du mode cognitif aux fameux moteurs de recherche de la toile « Net » si capables de brasser tout et n’importe quoi à partir d’un unique stimulus.
Or, faisant retour sur sa pratique Chantal Lheureux nous montre bien en quoi les enfants autistes dont elle s’est longuement occupée disent au agissent ces associations coagulées dans un bassin attracteur (pour reprendre ici un terme usité par les neurobiologistes). Bassin attracteur d’associations qui ne seront pas capitonnées par une opération d’interprétation, délivrant un sens, mais par un commentaire décrivant et distinguant des états émotionnels forts.
Voilà un des points de départ de ce livre et en voilà bien une de ses clefs. La pensée autistique, dont on connaît une des premières descriptions dans le Lehrbuch der Psychaitric de Bleuler en 1919 sous le nom de pensée déréistique, n’est pas une pensée métaphorique. Les phénomènes autistiques ne se disent pas et ils s’éprouvent chez l’analyste aussi par le biais d’image sensorielles.
À l’inverse des modes cognitivistes les plus obtuses, de celles qui ont favorisées la réduction de l’autisme à un handicap, ce bon livre démontre qu’il y a bien un soi et un monde dans l’autisme. Il tente aussi une opération de métaphorisation des instants de ressenti et perception sensorielles qu’éprouve le psychanalyste avec des autistes (comme peut-être avec quelques délirants mélancoliques).
Et c’est de la co-création des seuils, des portes, des fonds et des lignes perspectives, des mouvements possibles entre son et lieu que nous parle l’auteur non sans résonance. Si le monde de l’autisme est à de rares moments trop décrit comme le monde merveilleux de l’enfant autiste, cette patiente et créative recension des moments d’éprouvés et d’élaborations d’espace est, sans nul doute, un récit clinique de premier ordre. Récit d’une conquête des articulations entre le continu du temporel et le discontinu de l’espace, récit de la façon dont l’autiste psychise son être en psychisant le corps de son thérapeute, récit qui rend hommage à une mobilité psychique insoupçonnée.
Un livre juste, stimulant, novateur.
Olivier Douville