Marie-Jeanne Segers - De l’exil à l’errance
Par Olivier Douville
L’auteure est psychanalyste à Bruxelles et elle préside l’Association freudienne de Belgique.
Son livre me semble s’inscrire dans la pointe actuelle des recherches sur les incidences cliniques de l’exil. Je le dis d’autant plus aisément que j’ai connu les diverses étapes de ces recherches : , la psychopathologie de l’immigration droite issue de la psychiatrie coloniale , l’ethnopsychiatrie du migrant trop vite considéré comme un exemplaire essentialisé de ce qui semblait être sa culture d’origine, la clinique des incidences cliniques de l’exil, enfin les cliniques de l’errance et de l’exclusion. De sorte que l’objet qui lentement s’est dégagé de ces divers étapes semble non l’ « étranger-exotique » mais le sujet en décalage d’avec le lien social et le monde culturel dominant. Sujet dont j’ai dit qu’il était le paradigme des effets qu’à sur les subjectivités la mélancolisation du lien social. Je remercie Marie-Jeanne Segers d’avoir puisé à certains textes de Chalres Melman, de Fethi Benslama ou de moi concernant les lectures psychanalytiques de l’exil.
Tel qu’envisagé en ce livre, sensible et original, l’exil est une réalité complexe, culturelle, sociale, économique, familiale et subjective. Il semble bien qu’il y a autant de genre d’exils que de genre de migrations, mais c’est là une distinction superflue. L’atueure choisit sa définition de l’exil qui renvoie à un refus. Elle érige l’exilé en figure exemplaire de celui qui décide de partir. C’est de ce point de vue, solidement argumenté tout du long de son livre, qu’elle envisage l’empan des processus psychiques que cette migration de rupture, convoque, mobilise et remet en chantier. Les 4 fondamentaux de la subjectivité y sont remaniés : rapport au contenant des objets soit le temps et l’espace, rapport à la langue, rapport à l’altérité. Au risque que ces remaniements ne se fassent plus, qu’ils ne prennent pas support les uns sur les autres. On montrera alors l’errance saillir sous l’exil comme l’écorché sous la peau.
L’auteure expliquera, par contraste, comment la traversée de ce qu’elle nomme « un lieu sans lieu » est aussi condition des exils réussis et créateurs. L’exemple de Romain Gary vient ici à point nommé.
Le fait de poser avec tact et justesse clinique deux lignes de compréhension des exils, l’une qui enlise l’exil dans l’errance, l’autre sui en fait un point de mélancolie dont la traversée est nécessaire création ne réduit pas l’effort de l’auteure à la commodité d’un sociologue toujours ravi de faire des typologies. Ce sont bel et bien des processus psychiques qui sont au travail. Et faire jouer le contraste de ces deux destins possibles de l’exil a pour bénéfice immédiat de permettre de repenser la théorie de la sublimation, mais ce jeu possède de plus un bénéfice immédiatement parlant à tous les cliniciens qui œuvrent dans un champ dit « interculturel », il les débarrassera sans doute de l’illusion violente selon laquelle il n’est point d’autres et de meilleurs façons d’écouter un exilé que de tenter de le réidentifier à la cas originelle dont il précisément voulu faire rupture la plupart du temps.
Un livre audacieux, actuel, pudique et sensible, rigoureux.
Olivier Douville