Colette Soler, L’inconscient à ciel ouvert de la psychose
Collection Psychanalyse &., Presses universitaires du Mirail, 2002, 261 pages.
Version revue par l’auteur après relecture par Che vuoi ?
Par Olivier Douville
Colette Soler est psychanalyste, agrégée de philosophie et Docteur en psychologie. Membre de l’Internationale des Forums du Champ Lacanien et de son École, elle examine dans ce livre la pertinence théorique et clinique de l’hypothèse lacanienne qui pose la forclusion du Nom-du-père au principe de la psychose.
On sait que Lacan a traduit par forclusion le terme allemand de Verwerfung, usuellement traduit par « rejet ». Ce terme de forclusion a reçu plusieurs définitions. Il est, pour certains, un processus qui consiste à refuser un signifiant primordial –c’est le sens de la très claire définition que Melman donne de ce terme dans le Dictionnaire International de la Psychanalyse, dirigé par A. de Mijolla- alors que d’autres, dont Maleval, portent moins l’accent sur le processus en tant que tel, réexaminant la forclusion psychotique à la lumière des nouvelles approches lacaniennes sur les Noms-du-Père (le père qui fait sinthome de la nomination et n’est plus d’aucune garantie quant à la référence, comme signifiant de la Loi ).
Soler part d’une définition simple qui pose bien les bases de son raisonnement. La forclusion est une condition de la psychose et n’est pas un phénomène. On n’observe pas cliniquement une forclusion, cette dernière ne peut entrer dans le moindre repérage séméiologique car elle ne fait pas partie de ce qui s’observe. A l’heure où l’on parle de relever le fade potage du DSM du piment de quelques items droit extirpés de la clinique psychanalytique, et bien il faudra se résoudre à comprendre que certaines notions cardinales de la clinique psychanalytique ne se réduisent pas à des faits d’observation.
Bref, la forclusion est une condition de la psychose, elle n’est pas un phénomène et ne fait pas partie de ce qui s’observe. Ce n’est pas par la forclusion qu’on diagnostique la psychose. On n’en repère que ses effets. Qui furent dans un premier temps objectivé à partir des troubles du langage (Lacan, Séminaire 3 : La structure freudienne des psychoses).
Mais quel intérêt y a-t-il pour des psychanalystes à s’intéresser à la psychose ? Récemment, une jeune collègue assez bouillante ne me disait-elle pas d’un ton outré, lors que je lui faisais remarquer la coïncidence de l’amendement Accoyer et des divers rapports sur la psychiatrie et la santé mentale, qu’il faudrait bien que les psychanalystes cessent d’idéaliser la psychose car nous n’avions pas tant que ça de psychotiques sur nos divans ?
Il est à souligner que reconduisant un peu ce qui s’était passe au Burghölzi où il s’agissant d’écouter les effets de la dissociation à la lumière des thèses de Freud sur le travail langagier du rêve, Lacan utilisa la psychose pour mieux expliciter ce qu’était pour le sujet humain (donc parlant) les axes de la métaphore et de la métonymie. La psychose nous présente un sujet non inscrit dans la fonction phallique. De ce fait, elle nous donne accès aux effets de cette fonction phallique. On peut ensuite remarquer que l’intérêt de Lacan pour la psychose a pu correspondre à deux moments importants des rencontres entre psychanalyse et psychiatrie : l’un qui signalait l’intérêt des psychiatres pour des conceptions dynamiques, phénoménologiques et psychanalytiques des psychoses, comme en témoignent maints débats publiés dans l’Evolution Psychiatrique de 1930 jusqu’au début des années soixante (et dont témoignent encore, entre autres lieux d’élaboration clinique, Les « Écoles » de Sainte Anne ou de Ville-Evrard); l’autre qui correspondait à la venue de psychanalystes dans des lieux publics de soin. Cet autre mouvement fut amorcé dès les années vingt avec Eugénie Sokolnicka qui s’installant en France avec l’aval de Freud, fut introduite par Georges Heuyer à l’hôpital Sainte-Anne. Elle analysa des médecins psychiatres du service du Pr. H. Claude ; ce moment de rencontre en psychanalyse et pédopsychiatire connu ultérieurement un essor remarquable avec les inscriptions institutionnelles de J. Aubry, F. Dolto et M. Mannoni.
Travailler avec et sur la psychose a donné à la théorie lacanienne une bonne part de son impulsion et assurait aux psychanalystes qui exerçaient en institution psychiatrique de soin un élan vers un renouvellement de la théorisation et de l’invention des dispositifs cliniques. Bien évidemment d’autres facteurs plus ou moins liés à l’effet des théorisations lacaniennes rendent compte de cet intérêt pratique et doctrinal pour la psychose, je fais là allusion là, de façon toute allusive les expériences de psychothérapies institutionnelles.
Le livre de Soler s’appuie sur des points forts de la théorie de Lacan qui jalonnent le parcours qu’elle nous propose. Récapitulons deux points notables de cette progression :
- À savoir que la dite unité du corps propre et la façon dont l’anatomie s’accorde à la pulsion tient à ce que la parole et la chaîne signifiante sont déjà organisées.
- À considérer ensuite la distinction entre certitude et question. Ainsi l’opposition entre érotomanie et hystérie fait contraster deux modes d’être du sujet. Dans l’érotomanie il est certitude, dans l’hystérie, il est question. Il y a une question hystérique, il n’y a pas de question érotomane. Plus exactement, l’érotomanie détermine les questions. Le sujet hystérique interroge les signes émis de l’autre pour y trouver son être (soit ce qui en définitive lui échappe), l’érotomane interroge l’écart entre les faits et le postulat. L’un demande ce que ça veut dire et a besoin du signifiant que coalisent les signes du désir de l’autre, alors que l’érotomane le sait. Il sait qu’il est aimé par l’autre. Cette distinction aurait pu illustrer une très fine clinique dialectique et différentielle. Mais Soler va plus loin et voit plus large proposant alors de reconsidérer le rapport entre amour et structure. Ainsi, l’amour dans la névrose est appelé à corriger l’absence du rapport sexuel, dans la psychose il est plutôt invoqué pour parer à l’imminence d’un rapport mortifère.
Soler et quelques autres (Czermak, Maleval) reconsidèrent les thèses de Lacan au delà de la « question préliminaire » que l’on ne peut plus considérer comme l’unique pièce de référence. En effet dans ce texte princeps la psychose se trouve encore abordée à partir de la névrose.
Ce à quoi Soler nous invite est à une lecture différentielle des psychoses autour de la dimension du corps, de la jouissance, de la pulsion et du langage. C’est un ouvrage de clinique fondamentale. L’auteur tente une conclusion sur la place du corps psychotique, son « hors-discours » dans le lien social. La question est juste esquissée. La considérer patiemment suppose aussi de revenir à la capacité qu’ont certains délirants de dire une parole de vérité sur les actuelles dérives du symbolique. L’abord clinique pourrait ici s’enrichir par une démarche anthropologique sans se confondre avec elle. Au seuil de laquelle ce livre, tout de finesse et de rigueur, se dépose.
Olivier Douville