Vic Berton, «Taboo»

Vic Berton

Par Olivier Douville

Vic Berton and his orchestra, 25 mars 1935 ; Vic Berton (batterie et leader); Henry Levine, Louis Garcia, Sterling Bose (trompettes) ; Art Foster (trombone) ; Matty Matlock (clarinette), Jimmy Granada (saxophone alto), Pee Wee Russel (clarinette et saxophone ténor), Spencer Clarck (saxophone basse) ; Irving Brodsky (piano) ; Darell Calker (guitare et aragneur) ; Merrill Kline (tuba).

Une fois qu’elle eut assimilé les cours de Baby Dodds et les leçons de Zutty Singleton, la batterie se mit à songer d’une autre scène que celle des fanfares, des parades, des enterrements et des processions.

Avec l’espace de spectacle que lui offrirent les bateaux à roue, et dont elle fit un usage timoré, puis, plus décisivement, en se mettant au service des revues et les grands spectacles chantés et dansés de Harlem, elle se voulut plus ample et davantage rehaussée d’accessoires. Il se trouva que 4 mousquetaires du swing naissant décidèrent de donner à l’antique batterie louisianaise au pouvoir trop vérifiable une ampleur et une élégance supérieure (Berton, Stafford, Greer, Marshall). C’est par l’invention d’un jeu de cymbale, qui culmina chez Stafforden « cymbale charleston », que l’insolite objet prit tout son envol. Berton lui aussi su détacher la cymbale de la grosse caisse. Ce bricoleur d’envergure et percussionniste de génie aimait aussi le son des timbales, ces pachydermes à pédales qu’il faisait monter sur scène et dressait pour des raisons essentiellement musicales. Comme beaucoup de musiciens urbains, Berton fit ses débuts dans les orchestres de fosse - le cinéma muet ne se passait pas de ces petits ou moyens ensembles, parfois il se contentait des palettes de son de l’orgue Hammond qui vit débuter Fats Waller puis Count Basie. Son père y tient le violon. Dès l’âge de sept ans, il met en joie la batterie de l’orchestre du cinéma « Alhambra ». Neuf ans plus tard c’est l’orchestre symphonique du Milwaukee qui s’attache ses services de percussionniste.

Les années 1920 le voient donner le tempo de nombreux orchestres de danse. Plus tard, Igor Stravinsky lui confiera la partie de percussion de l’Histoire du Soldat, pour une série de concerts sur la côte Ouest. Toujours Berton flirte avec le jazz et joue avec la crème du jazz blanc. Il est le leader de quelques groupes qui, toujours, réserveront à la musique hot des moments abondants et précieux. Il attend derrière la scène des music-halls, des dancings, des salles de théâtre ou de cinéma, des orchestres swing, l’heure où la batterie offrira et agira toutes les figures du swing, toutes les nuances des peaux et des bois. L’heure va vite. Des jeunes turcs de la batterie font leurs premières armes dès la fin des années 1920. Cozy Cole chez Jelly Roll Morton, Chick Webb, à la tête de son premier orchestre. De sorte qu’on oublie aisément, tant le temps semble aussi pressé qu’un roulement sur la caisse claire, qu’en moins de 10 années ce sont bien trois générations de batteurs qui se sont superposées, presque davantage que succédées. Soit les piliers orléanais (et déjà que de déliement et de souplesse inventive gagnée de Tubby Hall à Zutty Singleton), les mousquetaires inventifs mécanos des tambours et des cymballes plus haut cités, et les premiers grands du middle-jazz dont, outre Cole et Webb, Sid Catlett et Walter Johnson. L’orchestre qui a gravé la face retenue ici est composé d’excellents musiciens dont Sterling Bose synthèse originale et réussie de Louis Armstrong et de Bix Beiderbecke. Au-delà du jeu de Berton, bien stimulant ici comme ailleurs, vit le monde artiste du clarinettiste Pee Wee Russel. S’il est arrivé à ce musicien de se montrer sublimement vaseux et fantomatique, il brille ici d’une touche rugueuse et ferme, affamée d’inflexion et de growl, presque excédée par son énergie communicative.

Olivier Douville