Monette Moore Undertaker Blues
Undertaker Blues
Par Olivier Douville
Undertaker Blues - Monette Moore (1902-1962) - 78t New York , 1925-02-00, Ajax Orchestre : Monette Moore (vocal) accompagnée par Bubber Miley (trompette) ; Louis Hooper (piano)
Si jamais elle ne fut, comme Gertrude "Ma" Rainey, Ida Cox ou Bessie Smith, une « star » des années 20, Monette Moore a souvent joué un rôle estimable dans les spectacles noirs des USA, les revues jusque dans les années 1960.
Sous le pseudonyme de Susie Smith, ou, plus généralement, sous son propre nom, elle a gravé dans la seconde moitié des années vingt un ensemble de disques qui rendent justice à son humour et à sa sensiblitié, bref, à ses talents de conteuse. N’allons pas attendre d’elle qu’elle s’élève à des sommets de désespoirs, d’ironie fière ou féroce et de tragique. Elle se sert d’autres armes : finesse, décontraction, intelligence du texte, charme acide mais toujours intimiste.
C’est une artiste entièrement formée par la sophistication du théâtre noir New-yorkais. Profondément ancrée dans la culture musicale de cette ville, elle n’en aime pas moins les voyages qui, dans le Middle-West, lui offrent l’écrin de l’orchestre du contrebassiste Walter Page, futur pilier des premiers Count BasieOrchestra. Ce sont des échappées transitoires. New York est le lieu de sa légitimité musicale et de ses succès. Jamais elle ne fut plus heureuse et à l’aise qu’en dialoguant avec les musiciens de la phalange de l’Orchestre de Charlie Johnson, elle y grava un excellent "Don't you leave me here", ou ici avec le pianiste Louis (ou lou) Hooper et le bouleversant trompettiste Bubber Miley qui est, au moment où il enregistre ce disque, au seuil de sa grande aventure avec leDuke.
Un mot sur le pianiste. Il est à lui seul un carrefour étonnant, pour lequel le mot de métissage serait faible, entre des ascendances africaine, amérindienne et irlandaise. Né en 1894, au Canada, il dulcifie ses cordes vocales en chantant dans les églises et se met au trombone. Il joue de là, de ça, et est enrôlé en France pendant la première guerre. De retour de guerre, il s’installe aux U.S.A., à Harlem, et étudie à nouveau la musique à la Martin-Smith Music School qui, plus tard, deviendra la Julliard. Il joue avec Elmer Snowden et tout le gratin du jazz new yorkais jsuqu’en 1930, environ.
De retour au Canada, il y mène une carrière modeste, enseigne, aura pour élève un certain Oscar Peterson, entre dans un oubli relatif, puis il est redécouvert, fêté ; il se remet illico au travail, compose des ragtimes bien balancés, une revue « Congo », et il meurt.
Les pointes de doigt de ce très sympathique accompagnateur recherché ne peuvent cependant nous faire oublier que la vraie rencontre se situe danc cet "Undertaker's Blues" entre Monette Moore et Bubber Miley. Ils s’écoutent, se précèdent, s’entendent. Ils se rêvent, s’inventent ce jazz des solitudes habitables, des appels encore audibles, des signes s'envolant pour un point d'horizon habité.
Quelque chose comme de l’amitié ici, pas d’effusion, encore moins de fusion, mais un compagnonnage discret. C’est ce que recrée la trompette de Buber avec Monette, comme le font celles de Louis, de Tommy (Ladnier) ou de Joe (Smith) avec « Ma » Rainey ou Bessie Smith, celle, enfin du vieux roi Oliver avec Sarah Martin.
Toujours cette amitié la plus attentionnée, la plus élastique de la planète jazz.
Il n'y a décidémment rien à comprendre à l'art de certains des plus grands des musiciens de jazz si on ne prête pas attention à la façon dont ils savent accompagner, anticiper et attendre, se mettre au service, faire rire ou pleurer leur musique ave la musique de l'autre. Cet "Undertaker's Blues" est un des plus authentiques passeport qui soit pour entendre la musique jazz de cette époque, et, pourquoi pas de la nôtre.
Olivier Douville