The Ragtime Drummer-Arthur Willard
Arthur "Willard" Pryor (1870-1942)
Par Olivier Douville
78t - New York, 1912-12-14, Victor talking Machine
Orchestre : Arthur Pryor’s Band : (personnel probable) : Arthur Pryor (trombone et leader) ; Emil Keneke, Bert Brown, Smith (cornets) ; Stoll, Rose (trombones), Louis H. Christie, A. Levy (clarinettes) . John Kiburz (flute) ; inconnu (cor anglais) ; inconnu (cor) ; Leone (cor et saxophone baryton) ; Simon Matia (euphonium) ; James I. lent (batterie)
Qui se souvient de celui qui avait dans les années 1910 gagné la réputation d’être le plus grand tromboniste du monde, Arthur Pryor ? Né à St. Joseph, Missouri en September, 1870, le jeune Arthur croît dans une athmosphère musicale effervescente. La famille fait de la musique tout comme d’autres respirent. Le papa est chef d’orchestre de la ville, et le rejeton aux oreilles aguerries essaye son talent sur presque tous les instruments de la fanfare. Qu’on remise les cuivres, les fifres, les mirlitons et les cymbales, le flot musical qui irrigue et abreuve la douce ville de Saint Joseph ne se tarît pas pour autant. C’est que, dans cet endroit du Missourri, il règne une forme de fièvre musicale convulsive et contagieuse qui semble sourdre des ventres ronds et luisants des pianos mécaniques. Les mélodies syncopées accouraient par bande dans les ciels dominicaux ; décidément, Arthur était né au bon moment et au bon endroit, là où s’inventaient le plus mélodieux des ragtimes avec Charles L. Johnson, Percy Wenrich, James Scott, et, last but not least, Scott Joplin. Malgré tous les charmes qu’il y a à passer d’un instrument à un autre, le jeune Pryor, de caractère résolu,en vient à ne concevoir d’intérêt que pour le trombone. Façon élégante de poser une colle à son entourage qui, de la terchnique du trombone, n’en connaît que les rudiments nécessaires pour jouer dans un orphéon de campagne. Par un savoureux mélange de conseils paternels et d’audaces autodidactes, Arthur Pryor se forge une technique, qui le limitera tout de même et tout du long de sa carrière à ne faire usage que du tiers de la longueur de la coulisse. Il se débrouille, se démène et finit par briller. Nous sommes en 1892. King Oliver a sept ans, Jelly Roll Morton moins encore, Piron va sur ses quatre ans. Ni Armstrong, ni Duke, ni Beiderbecke ne sont encore dans les reins de leurs pères et les destins des cieux.
John Philip Sousa (auteur du « Stars and Stripes Forever » et directeur de la United Sates Marine Band) offre à Pryor la chance de se frotter à une répertoire gigantesque où les marches militaires voisinent avec les valses et les polkas. Sousa a aussi profondément modifié l’allure et le son des fanfares en allégeant les cuivres et faisant rentrer dans l’arène orphéonique les harpes, les flutes et les hautbois. Innovations qui sont les prémices des sections de « bois » dans les orchestres de Jim Europe.
Chez Sousa, le jeune Pryor fait merveille, et, à la différence du chef, il pense ragtime, joue ragtime, rêve sans doute ragtime aussi. Alors, puisqu’il faut bien plaire au public et honorer le contrat passé avec la très active "Victor Talking Machine Company", Sousa enregistre aussi, sans enthousiasme, des cake-walks et des ragtimes mais il laisse, pour cette occasion, la baguette de chef à Pryor -qui sans doute se munit de son trombone de l’autre main. Toujours est il qu’entre 1893 et 1903 des historiens amateurs de records (et de recording) ont compté que Pryor a joué près de 10.000 solos de trombone chez Sousa.
La fanfare de Souza joue en Europe ; en France le magazine "L'Illustration" relate ainsi un des concerts: 'On sait que les Yankees sont en train de conquérir, par la séduction ou par la force, tout notre Vieux-Monde. Ils viennent de commencer l'investissement de Paris. En 1900, nous avions été initiés par la De Souza Band, l''Orchestre de Souza', à la fanfare américaine, marches épileptiques et frénétiques galops. Et de fait, à l'occasion de l'exposition universelle de 1900, les Parisiens avaient pu mesurer tout ce qui séparait la furia yankee de la sagesse de leurs orchestres nationaux." Esprit consciencieux, le tromboniste décide qu’après avoir gravé et joué tout son saoul de trombone chez un autre, il peut monter son propre orchestre. Excellente initiative, longuement mûrie. Le "Pryor’s Concert Band and Orchestra" triomphe à Philadelphie, New York et ailleurs encore. Lorsque l’orchestre ne tourne pas c’est qu’il séjourne à Camden, toujours en train de confier aux capteurs de sons de la firme phonographique Victor des ragtimes, des marches syncopées, des airs en vogue et des fragments d'Opéra orchestrés pour fanfare ragtime. Bref, on ne chôme pas sous la houlette d'Arthur.
Dire que sa musique n’a pas pris une ride serait vain.
C’est peut-être cela qu’on aime encore entendre dans ces vieux 78t, leur aspect autant juvénile que suranné. D’autant que l’humour peut-être au rendez-vous, comme il l’est dans ce « Ragtime Drummer », morceau qui a toute sa place dans notre discographie tant il nous en apprend sur les premières exhibitions des batteurs. James I. Lent est proche ici d’un tambour militaire encombré de trucs sonores et il va, cruellement limité par le temps d'enregistrement,sautillant d’un accessoire à l’autre, tout en restant en cadence et au pas avec une précision rhytmique très estimable qui lui fait exécuter des "braks" tout à fait modernes. Au reste ce batteur est anglais, et fait partie de ces sympathiques jeunes musiciens européens d’emblée gagnés à la cause du ragtime, comme d'autres bien plus tard le seront à la cause du jazz.
Un disque anthologique et encore émouvant.
Olivier Douville