Pick Poor Robin Clean
Luke Jordan(1892-1952)
Par Olivier Douville
Pick Poor Robin Clean - 78t - Charlotte, 1927-08-16, Victor - Orchestre : Luke Jordan (guitare et vocal)
L’art de Luke Jordan, bluesman actif en Virginie permet de mieux situer les rapports que le blues des années 1920 entretient avec le jazz, mais aussi de préciser en quoi les artistes de blues ont pu être influencés par la musique afro-américaine dans sa diversité.
Découvert par les missions d’enregistrement itinérantes de la marque Victor, en 1927, Luke Jordan chante, de sa voix un peu traînante et douce, un répertoire qui mêle des thèmes bâtis sur les douze mesures du blues, des chansons de minstrels, et d’autres airs encore proches du ragtime. Cette version de « Pick Poor Robin Clean » (qui n’est pas sans évoquer celle du chanteur blanc Dick Justice) semble bien avoir été construite par son auteur à partir de l’audition de rouleaux de piano mécaniques (piano-rolls) ou d’authentiques joueurs de ragtime. Il en va de même dans des autres dsiques de Luke Jordan « Cocaïne » et « If You Won’t be Kind ».
En effet, on peut y entendre des procédés rythmiques comme le « stop-time ». Il s’agit d’interrompre le tempo régulier pour ne plus marquer que le premier temps de la mesure. On chercherait en vain une telle sophistication dans les enregistrements de blues urbain de cette époque.
Cette face d’une grande poésie est aussi un très bon témoignage de la complexité des rapports et des apports entre jazz et blues. Elle permet aussi de situer à quel point l’art des ragtimers qui connut sa plus haute perfection avec Scott Joplin et Joseph Lamb, s’est diffusé et a infusé, donnant naissance à des formes plus populaires, plus simples, mais extrêmement charmantes.
Olivier Douville