Maple Leaf Rag-Scott Joplin
Scott Joplin (1868-1917)
Par Olivier Douville
Piano roll, 1899-00-00, Stark Publishing System - Orchestre : Rouleau de piano mécanique (piano roll)
Nous sommes dans le dernier quart du XIX° siècle. On retient généralement 1868 comme année de naissance du pianiste et compositeur Scott Joplin,au Texas, et on donne à la naissance du ragtime, tout aussi arbitrairement, une date (1880) et un berceau : la ville de Sédalia dans le Missouri.
Le ragtime (littéralement « tempo déchiré ») est un genre pianistique élaboré pratiquée , à l’inverse des blues ou des work songs, par la frange des noirs acculturés à la culture occidentale et connaissant le répertoire classique pour piano . Des compositeurs européens, dont Debussy et Stravinsky, s'y sont intéressés et ont pu y puiser un peu de leur inspiration. Dès le milieu du XIX° siècle des compositeurs américains blancs comme Louis Moreau Gottschalk ont transcrit des ragtimes (par exemple « Le banjo. Fantaisie grotesque, Opus 15).
Si les anciens esclaves viennent juste d’acquérir la nationalité américaine, le droit de vote ne sera accordé qu'en fonction de critères discriminatoires, comme l’obligation de subir un examen de leur niveau d’instruction générale et de maîtrise de l’anglais.
Dans un tel contexte, la ségrégation est vive, la racisme virulent ; le Ku-Kux-Klan, revanchard et meurtrier, se forme, terorrise et tue. Les permiers lynchages se produsient à la toute fin du XIX° siècle.
Dans le même temps, une classe moyenne noire émerge progressivement qui tente de se conformer à ce qui semble être la « respectabilité « du monde blanc, y compris dans l’expression musicale. Le ragtime, où comptent les influences des compositeurs de musique « classique » doit beaucoup à Chopin, Litz, Strauss et Schubert.
L’art du ragtime durera jusque vers les années 1920, et sera prolongé par des pianistes venant de Sedalia (Scott Hayden), de la Nouvelle-Orleans (Jelly Roll Morton) ou de New York (Eubbie Blake), principalement, mais ces deux derniers artistes inverseront, décisivement, les accentuations en les déplaçant des temps impairs ou « forts » au temps pairs ou « faibles ». Peu d’artistes noirs des premiers temps du ragtime ont pu graver des disques. Il a fallu, pour cela, attendre l’orchestre de Jim Europe, enregistré en 1913 et 1914. Les pianistes les plus importants ont pu confier leur musique aux rouleaux perforés des pianos mécaniques.
Le père de Scott Joplin, Gilles Joplin, était un ancien esclave affranchi qui travaillait la terre. Sa mère, Florence Givens Joplin, née dans le Kentucky, était née libre. Scott et ses cinq frères et sœurs grandirent dans une famille qui aimait et pratiquait la musique. Chez Les Joplin on chantait et on prisait l’art du banjo et du violon et de quelques autres instruments. Dans son enfance, Scott joua du clairon puis s'essaya au piano de tant probante façon que son père, devenu ouvrier du rail, lui acheta un piano d'occasion. la révélation eut lieu milieu des années 1870, les Joplin s’installèrent alors à Texarkana dans l'Arkansas Le tout jeune Scott jouait si bien que la légende dit qu'àpeine âgé de 10 ans, son jeu et ses improvisations extasiaient toute la communauté noire. Ce point est notable tant il est encore dit que la ragtime ne fut jamais une musique improvisée.
En 1869, le premier chemin de fer transcontinental commence son service ce qui aide grandement à la circulation des personnes et des idées de tout ordre, y compris musicales. On pense qu'ensuite, émancipé du toit familial, dès l'âge de 14 ans, Scott Joplin en conflit avec un père qui insistait pour qu'il fasse un vrai métier gagne son pain en étant pianiste dans les bars et les lupanars de villes comme Saint-Louis, Memphis, et Dallas. Si, à 14 ans ,Scott n'était pas le plus jeune des pianistes maisons des bordels et des bars mal famés - on appelait ces héros du clavier des "professeurs" et certains d'entre eux n'avaient que 12 ans - i il joue sa propre musique et s’établit à Sedalia. En 1898 il publie son premier recueil : « Original Rags ». » Maple Leaf Rag », composé l’année suivante est son véritable vrai succès. Joplin enseigne, compose des musiques de ballet et, après une période mouvementée, publie la version de son Opéra « Treemonisha », premier opéra noir mêlant ragtime, musique européenne et folk music. C’est une œuvre hybride et généreuse qui contient des chœurs très entraînants et des airs vocaux et des passages pour violon d’une beauté fragile et émouvante - Gunther Schuller l’a magnifiquement ressuscitée, de même qu’il l’a fait des orchestrations du « Red Back Book ». Hélas, joué sans décors ni costume cet opéra fait un bide total à Harlem, en 1911.
Joplin, déjà rudement éprouvé par la mort de son premier enfant et de sa femme aimée, Belle Joplin, plonge dans une grave mélancolie. Une démence d’origine syphilitique péjore le tableau clinique et c’est en 1917, que meurt dans l’anonymat d’un hôpital psychiatrique le premier des grands pianistes afro-américains.
« Maple Leaf Rag », composé en honneur d’un club qui n’eut qu’une durée de vie éphémère, n'est pas considéré comme étant une pièce virtuose ; son exécution nécessite tout de même un bon contrôle du bras gauche qui rebondit d’une octave à l’autre, tout particulièrement dans la troisième partie du morceau et, aussi, un bon doigté pour octaves qui sont présents, comme dans nombre de « ragtimes », tout le long du morceau. Le fameux "Maple leaf rag" se présente sous la forme de quatre strains avec reprise sans introduction et sans coda. Ce morceau toujours allègre se plie à la forme AA BB A / CC/ DD:
On en connaît deux versions par Joplin, celle de 1899 et celle de 1916. Le jeu du pianiste est plus posé et sûr dans cette première version qui est un bonheur d'équilibre.
Il y a donc dans l’art du ragtime un nom, Scott Joplin, qui peut en désigner toutes les modes, les fantaisies et les splendeurs. Et qui supprime d’un coup toutes les prétendues difficultés que nous aurions à le situer en tant que simple épisode ornemental ou vénérable ancêtre de notre jazz tant aimé. Qu’on veuille bien se remémorer et à nouveau entendre ces rouleaux perforés que le pianiste a réalisé pour les firmes Strak ou QRS, ses compositions et arrangements rassemblés dans son « Red Back Book », ses Ballets et Opéras ; qu’on en évoque le langage cultivé et la saveur, toute la délicatesse des mélodies populaires dont il s’inspire et qu’il magnifie ; qu’on songe, enfin, à la postérité de certaines de ses compositions, dont "Original Rag" et, en premier lieu, ce "Maple Leaf Rag" ici présenté, et nous avons face à nous un véritable pionnier, l’un des plus grands (avec Edmond Dédé, et, surtout, James P. Johnson, Duke Ellington et Ornette Coleman) compositeur afro-américain.
Toute cette vitalité multiforme peut s’appréhender à partir de l’art pianistique de Joplin qui dépasse de loin l’irrépressible tension mécanique du ragtime au bénéfice d’une rigueur formelle et d’une inventivité mélodique des plus rares. Dans les œuvres de Joplin, s’entend la naissance d’une forme. Un vertige. Une grâce.
Les infinies broderies de ses thèmes et de ses arrangements semblaient devoir peu à peu s’effilocher et disparaître. Une seconde mode du ragtime, en 1950, suite à la publication du livre de Rudi Blesh et de Harriet Janis, « They All Played Ragtime: The True Story of an American Music » (Alfred Knopf, éditeur), permet de redécouvrir et d’explorer à nouveaux frais le parcours musical de Scott Joplin.
Même « Treemonisha » connut enfin une reconnaissance méritée : il y eut trois productions différentes de l'œuvre durant les années 1970. Le Prix Pulitzer de la musique, fut décerné à Joplin, à titre posthume, en 1976.
Olivier Douville