Mal Waldron, Blues for Lady day
Mal Waldron
Par Olivier Douville
Mal Waldron (1925-2002) - 33t - 5 févier 1972 - Black Lion - Mal Waldron (piano solo)
Thèmes: Blues for lady day; Just friends; Don't blame me ; You don't know what love is ; The Man I love ; You're my Thrill ; Strange Fruit ; Easy leaving ; Mean to me.
Mal Waldron, justifie de la réputation d'un des meilleurs "accompagnateurs" qui soient. C'est, sans doute, ses trois années où il fut le partenaire de Billie Holiday qui explique ce renom. Mais aussi, et ultérieurement son travail avec Steve Lacy ou Marion Brown.
Venu, comme nombre de grands musiciens du jazz des années 70 et 80,du R' & Blues, Waldron qui a débuté comme saxophoniste, a su rencontrer et s'entourer. De sorte que, égrener la liste de ses employeurs ou partenaires, reviendrait à écrire une anthologie de quelques figures marquantes du jazz des quatre dernières décennies du XX° siècle. Jugeons-en un peu : Shadow Wilson, Vic Dickenson, Chick Connors, Lucky Thompson, Ike Québec, Charlie Mingus, Coleman Hawkins, Max Roach, John Coltrane, Gigi Gryce, Eric Dolphy, Jackie Mac Lean. Il fut aussi un accompagnateur très inventif et stimulant de Jeanne Lee et d’Abbey Lincoln, deux chanteuses d'exception, et toutes led deux grandes amatrices des duos avec piano.
Définir l'art de Waldron est difficile. Le pianiste dessine une trajectoire dont la rhétorique est bien celle de Monk, déconstruction, progressions harmoniques parfois déconcertante, art du silence, plénitude du toucher, goût pour les assises solides à la main gauche. Mais le climat, la signature sensible est autre. Gestion de la réitération qui vise moins à une saturation thématique qu'au dégagement d'une improvisation où resplendit le soleil noir d'un sens incomparable du lyrisme et du tragique.
Les vieux amateurs de jazz se souviendront de son passage, avec Billie, au Mars Club, rue Robert Estienne à Paris. On dirait que tout ce que charriait de tristesse, de sentiment de "fin du monde" le chant de Billie, Waldron s'en soit intronisé l'héritier et l'aède. Ecoutons le plutôt, tel qu'il se confiait en 1977 : "Billie Holiday, je l’avais rencontrée par l’intermédiaire de Bill Dufty. C’est lui qui, plus tard, allait écrire Lady Sings the Blues. Billie avait besoin d’un pianiste. La première fois que j’ai joué avec elle, c’était à Philadelphie. Je l’ai accompagnée pendant près de trois ans, jusqu’en 59. Elle était merveilleuse sur scène, c’était une vraie professionnelle du show-business. Parfois c’était même comique : elle pouvait être énervée ou en colère avant d’entrer en scène, mais dès qu’elle apparaissait, personne dans le public n’aurait pu soupçonner que deux secondes plus tôt elle était hors d’elle. Son visage passait de la tristesse à la joie comme par magie. L’envers du décor, c’est que Billie était submergée par les problèmes de sa vie, fatiguée à force de vouloir adapter sa conception de la vie à la réalité de la vie. Pour se détendre, pour se libérer d’une sorte de trop-plein émotionnel, de sa sensibilité exacerbée, chanter lui était physiquement nécessaire. Sur scène, elle était transformée... Je crois que la musique a cette fonction — de moyen d’évasion — pour beaucoup de musiciens... Billie se conduisait avec moi comme une soeur. Elle avait davantage d’expérience, et elle m’aidait à jouer. En fait, elle ne m’a jamais parlé comme un patron à son salarié. Nos rapports étaient fondés uniquement sur l’amitié et la confiance"
Ce présent disque est le second qui ait été inspiré à son auteur par les courtes et denses années "Billie", il y eut auparavant un beau Left Alone en compagnie de Jackie Mac Lean.
Ce récital en piano solo est un monument du piano jazz. Même s'il ne contient pas que des "blues" il est fortement imprégné du parfum et des modulations harmoniques du blues. Le titre éponyme donne le climat d'un ensemble où bien des standards sont superbement disséqués et recomposés. Le sommet de ce disque est sans doute une superbe version de Strange Fruit, ce thème dont Bille Holiday fit un de ses morceaux de bravoure et dont les paroles parlent précisément des lynchages de noirs dans le Sud des USA par les sinistres assassins du Ku-Klux-Klan.
Mais c'est tout ce disque qui est admirable d'envolée, d'émotion, de lyrisme et de profondeur.
Olivier Douville