Makin' Friends
Eddie Condon
Par Olivier Douville
Eddie Condon (1905-1973) - Makin' Friends -78t - New York, 1928-10-30, OKEH
Orchestre : Eddie Condon (banjo et leader) ; Jimmy McPartland (cornet) Milton "Mezz" Mezzrow (clarinette et voix) ; Jack teagarden (trombone et vocal) ; Joe Sullivan (piano) ; Art Miller (contrebasse) ; Johnny Powell (batterie)
C’est à l’ukulélé que débute Eddie Condon qui passe rapidement au banjo. Ce commensal de Bix Beiderbecke et habitué de l’ « Austin High School Gang » figure dans de nombreux orchestres blancs mais enregistre aussi, à la fin des années 1920 avec Louis Armstrong ou Fats Waller.
Très actif, il ne cessera d’organiser des rencontres musicales et s’illustrera bien évidement dans les divers courants d’un jazz dixieland continué et modernisé. Sa volonté de confrontation musicale le fait croiser la route de bien plus modernes musiciens que lui : le trompettiste Roy Eldridge, le tromboniste Kai Winding ou le guitariste Jim Hall. Très estimé de ses pairs, au point que le trompettiste Boby Hackett n’a pas hésité à le qualifier de « meilleur guitariste rythmique », Condon illustre d’exemplaire façon le rôle que réservent au banjo ou à la guitare rythmique les jazzmen blancs de Chicago des années 1920. Il s’agit de marquer avec une régularité que rien ne décourage les quatre temps de chaque mesure, ce qui réduit les espaces de liberté et les temps d’expression soliste. De tous les instruments de la section rythmique, la guitare en est ici le véritable pilier, le cœur et le pouls.
« Makin’ Friends » rassemble, à l’exception du geignard clarinettiste Mezzrow, le ghota du jazz chicagoan.
Tous des exilés à New York. Ce morceau a non seulement une réputation, il possède, de plus, sa légende. Pour Teagarden, comme pour Mezzrow, le succès ne vint pas immédiatement à New York. De longs mois de bohème, de vache maigre où s’intensifiaient languissance et détresse. Etait-ce « Mezz » ou « Mr T. » qui, affalé contre la banquette du métro, vit un vieux noir de Harlem sourire et en lui secouant l’épaule, le conseiller de se faire des amis au plus vite ? Qu’importe. Tous ces musiciens, inspirés ou tâcherons, audacieux ou copistes, étaient animés d’une volonté de vivre en amitié avec les musiciens noirs et leur musique, cette dévotion qui poussait parfois à des imitations naïves, ne peut maintenant être mise en doute. Et c’est ce désir d’être un autre que célèbre ce morceau. Alors Teagarden, métis d’amérindien avec une voix qui vient d’un pays qui semble presque plus ancien que le jazz, joue et montre ce qu’est pour lui le blues. Mc Partland cisèle au cornet deux phrases simples, tendues, lumineuses.
Leur style ne s’abandonne pas dans des émoliences ou des pauses délicates. Eux deux cherchent à rejoindre un pays, le pays noir, le pays d’un art qu’ils veulent honorer et qui saura les accueillir. Et Condon mouline comme il se doit sur son banjo, quatre temps après quatre temps, remplissant son rôle essentiel pour les copains, ceux qui soufflent en première ligne. Pour apercevoir l’évidence et la nécessité de son jeu il nous faut tendre l’oreille. Ce jazz de haute sincérité mérite bien cet effort.
Olivier Douville