Hellzapoppin - Slim Gaillard
Par Olivier Douville
Hellzapoppin - Slim Gaillard (1916-1991) - CD, 1941-00-00
Orchestre : Slim Gaillard (piano et guitare) ; Slam Stewart (contrebasse) ; Elmer Fane (clarinette) . Jap Jones (trombone) ; C.P Johnston (toms) + la troupe des Whitey's Lindy Hoppers Est mentionné ici l'extrait sonore d'un film qui montre une des plus réjouissante scène de jazz et de danse qui ait jamais été filmée.
« Hellzapoppin’ » (littéralement : l’enfer « Hell » s’éclate « Poppin ») ou le film qui contient des gags qui furent presque tous copiés. Qu’est ce film culte ? « Hellzappopin » est d’abord un grand succès de Broadway, c’est une pièce musicale, une revue qui tiendra l’affiche à New-York et précèdera les grands succès de « Carrousel » ou « Oklahoma ».
Qui observe Hollywood peut savoir d’avance que tous les grands succès des scènes de Broadway doivent être adaptés au cinéma ; une firme de renom solide mais dont l’aura n’équivaut pas à celui de la MGM va s’en charger : l’Universal. Cette firme qui trouvait son originalité dans le cinéma fantastique et fut, sur ce chapitre, productrice de chefs d’œuvre impérissables de la Momie (la seule bonne version de ce thème réalisée en 1932 par Karl Freund) au Corbeau (version de 1935 par Louis Friedlander), avait aussi pris goût à illustrer toutes les formes de la comédie américaine, « musicals » et « burlesques » compris.
Lorsqu’en 1941, Henry Godman Potter tourne « Hellzapoppin », le génial comique W.C. Fields réalise un film pour cette firme. Le choix du metteur en scène H.C. Potter s’impose aisément. Ce cinéaste, boudé aujourd’hui par la critique et le public, est pourtant l’auteur d’un des meilleurs films jamais tournés d’où émane une nette impression d’inquiétante étrangeté (« Un million clef en main » 1948). Il fait partie de ces nombreux artistes polyvalents qui hantent les studios de cinéma américains. Né en 1903, il fonde, à l’âge de 24 ans, avec G. Haight, le premier festival de théâtre d’été aux Etats-Unis. C’est dans ce cadre que, de 1927 à 1933, il met en scène de nombreuses comédies musicales, toutes réglées au métronome et enlevées. Mais ce film sera tourné en deux fois. La première version, assez courte, due à Potter ne suffit pas à calmer la faim de « nonsense » des commanditaires de ce film. Et c’est Edward Cline, le metteur en scène de Mae West, qui complètera l’affaire avec son sens aiguisé du rythme et son goût incurable, heureusement, pour l’absurde.
La sortie du film a lieu le jour de Noël 1941. L’idée géniale est de faire figurer parmi les invités des sosies de personnalités célèbres du show-business ou de la politique dont un homme qui ressemble au maire de New York comme une goutte d’eau ressemble à une autre, une fausse Garbo et des faux frères Marx.
Qui est qui ? telle est la question que cette « première » met en scène de façon extravagante, et qui sert de film rouge à ce film débridé. On n’en peut plus de rire devant les confusions des personnes et des objets, des sentiments et des intérêts, des passages incessants entre un espace scénique et un autre. Imaginez que ce film raconte comment deux personnages cocasses (joués par les comiques populaires alors Ole Olsen et Chic Johnson) assistent à la projection d’un film au sein duquel ils se trouvent promus au rang d’acteurs principaux dont la tâche est de perturber une représentation théâtrale engoncée et fade afin de sauver une belle histoire d’amour, histoire dont tout le monde se contrefiche, à dire vrai. Tout cela fait une jolie pagaille tant les coordonnées mêmes de l’espace et du temps sont malmenées. Ce ne sont plus seulement les objets mais bien ce qui les contient qui devient flottant, erratique, évanouissant. En conséquence ce film ravit dans un épuisement sans bornes. Cela impliquerait sans doute qu’il en vienne à régresser dans une surenchère machinale s’il ne s’y trouvait un moment de grâce rayonnante, musicale et dansante. Le caractère endiablé de cette machine filmique qui, sans cesse, se désamorce et se réamorce, se dilapide et se renouvelle a trouvé dans le jazz son envers et son maître. Car ce qui restera de plus intact et de plus neuf dans ce film est une incise, un impromptu. Avec le prétexte qu’un spectacle est en train de se monter- c’est rappelons-le la « trame » de l’ensemble- on peut tourner bien des numéros simples ou sophistiqués. Le coup de génie est d’avoir fait appel à des musiciens de jazz d’une inventivité exceptionnelle.
Leur joie de jouer est admirable. Arrivent Slim Gaillard (pianiste et guitariste) et Slam Stewart (contrebassiste).
Les rejoignant ici, Rex Stewart, te trompettiste de Duke Ellington, souffle des mesures très bluesy que l’usage de la sourdine rendent rauques et impérieuses, et tous improvisent rejoints par les plus obscurs Elmer Fane à la clarinette, JapJones au trombone et C.P Johnston aux toms. A l’agitation des acteurs succède l’inspiration des musiciens, le brouhaha ambiant s’éteint devant la naissance de la musique. Nous rions encore, de joie. Le rire vient d’ailleurs, il n’est plus provoqué par le comique de répétition ou de destruction si essentiel à ce film. Il s’agit là d’une jubilation devant la création, en phase avec le surgissement du rythme en son appel au corps. Et ce n’est pas tout. Aux musiciens qui continuent à jouer un riff (courte phrase musicale répétée de façon obsédante), succèdent les danseurs de « Lindy Hop » : la troupe des Whitey's Lindy Hoppers (William Downes et Micky Jones, Billy Ricker et Norma Miller, Al Minns et Willa Mae Ricker, Frankie Manning et Ann Johnson). Lindy Hop : ce terme ne veut strictement rien dire. Cette danse aurait vu le jour cours d'une soirée de l'été 1927 où un journaliste demandant à un danseur noir, Shorty Georges le nom de la danse qu’il vient d’exécuter avec exactitude fantaisie et brio s’entend répondre "Le Lindy Hop », allusion au périple de l’aviateur Charles Lindberg volant au-dessus de l’Atlantique (« Lindy hop The Atlantic » titraient alors les quotidiens).
Le Lindy Hop que nous voyons dans ce film, est un compendium explosif et acrobatique de toutes les danses de couple nées dans les années 30. On trouvera aussi des danses Lindy Hop dans le film des Marx Brothers « Un jour aux Courses ».
Olivier Douville