Charlie Segar, Cuban Villa Blues
Par Olivier Douville
Chicago, 1934-09-10, Decca - 78t - Orchestre : Charlie Segar (piano solo)
Charlie Segar compte au nombre de ses artistes obscurs et dont les rares témoignages enregistrés sont des traces tout à fait passionnantes pour qui tient à se faire une idée à peu près claire des mouvements de superpositions et de syncrétisme qui firent se conjoindre souvent et se dialoguer parfois des techniques et des modes d’approche du piano très hétérogènes. Lorsque l’amateur tente de se repérer dans ces traces sonores qu’on rassemble sous la bannière flottante qui a nom jazz, qu’il tente au sein de ce paysage foisonnant de tracer sa route, de ranger dans des compartiments assez cloisonnés et séparés les uns des autres les impressions sonores que lui font tel ou tel disque, toujours il rencontrera une difficulté qui est presque de structure, et presque essentielle à cette musique.
C’est que fonctionnant avec une musculature et un tempérament qui lui font, comme en un accéléré, avaler les modes et les styles, les organisations orchestrales, recracher les triples croches et incendier les harmoniques, le jazz à un poumon et un cœur qui s’oxygènisent et s’aèrent par la présence métaphysique du swing et le rappel souverain du blues.
Avec Segar s’avance vers nous l’armée des humbles, celle de ces pianistes et guitaristes des années 1920 et 1930 qui, touches à tout sans génie mais pétris d’astuces, coulaient en chacune des cires qu’ils gravaient avec un enthousiasme inaltérable à la fois leur premier cri et leur testament. Se jetant de tout leur poids sur ces trois minutes et demie que durait une gravure, ouvrant d’un coup tout leur sac à malice et vidant, dans une précipitation sympathique, roublarde et décidée toutes les paillettes de leur malles à trésors, ces artistes inventaient des fondus stylistiques qu’on pensait impossibles et qui n’étaient qu’introuvables alors, palpitant entre schémas du blues, du ragtime et du stride. Ce qui donne, avec un des plus sympathiques et savoureux de ces magiciens de cœur, le pianiste Charlie Elgar, des faces parfumées et réjouissantes dont ce solide et dansant « Cuban Villa Blues ».
A l’époque où il grave cette face, Segar accompagne des chanteuses et chanteur de blues parmi lesquels Memphis Minnie et son mari Joe Mc Coy..
Il serait né avec le 20° siècle, aurait épousé la pianiste Nellie Lutcher qui se sépara de lui, se serait donner le surnom de « wizard of piano » lui qui était surtout un illusioniste. Une bonne part de sa popularité venait à l’époque de son agilité à faire l’andouille en jouant à la fois du piano et de la trompette ce qui égayait des foules pas trop exigeantes mais cependant très regardantes sur la qualité de le note bleue. Ces notes-là, Charlie en avait plein l’âme et elles lui couraient avec une légère tendance à la précipitation tout au long des doigts lorsqu’il jouait sa musique, enfin celle des autres mais mise à sa sauce et ordonnée selon les caprices d’un collage qui n’appartenaient qu’à lui seul.
Comment ne pas aimer un pareil feu follet ?
Olivier Douville