Copenhagen & Chime Blues, «Smack» Henderson, Fletcher Hamilton
Par Olivier Douville
Copenhagen - « Smack » Henderson, Fletcher Hamilton (1897-1952) 78t New York , 1924-10-30, Vocalion Orchestre : Fletcher Henderson orchestra : Elmer Chambers, Howard Scott, Louis Armstrong (trompettes), Charlie Green (trombone), Buster Bailey (clarinette), Don Redman (clarinette et saxophone alto), Coleman Hawkins (saxophone ténor), Fletcher Henderson (piano), Charlie Dixon (banjo), Bob Escudero (tuba), Kaiser Marshall (batterie),
Pianiste dès son plus tendre âge, s’orientant à la fin de son adolescence vers des études de chimie, Fletcher Henderson se tourne décisivement vers la musique dès l’âge de 22 ans, à New York.
Contrairement à une idée reçue, le jazz n’a pas connu qu’un seul berceau. Il y eut certes la Nouvelle-Orléans, mais aussi Kansas-City et New York. Dans cette dernière ville, précisément dans la ville « haute » (Harlem) où se trouvaient de nombreux théâtres noirs, cabarets et salles de danse, le ragtime se modernisa très vite, sans doute à partir des inventions des pianistes qui composaient beaucoup pour des spectacles et des revues. De sorte que l’influence néo-orléanaise fut moindre qu’à Chicago, ville qui, elle, ne possédait pas de scène ou d’école musicale noire développée et qui absorba au plus vite le trésor louisianais. Aller à New York, était pour les néo-orléanais prendre le risque de se trouver « ringardisé ». D’où l’intérêt aussi de la présence d’Armstrong en cette ville, à ce moment-là.
Un défi. Inévitable.
Fletcher, pour sa part, rentra rapidement, en octobre 1920 dans le Pace & Handy Music Co. en qualité de transcripteur de partitions. Devenu alors bon lecteur et fin pianiste, il accompagne de nombreuses chanteuses de blues dont Ethel Waters et BessieSmith, et, avec elles, enregistre. Son orchestre fut, dès sa naissance, une pépinière de talents qui, pour beaucoup, marquèrent l’histoire du jazz. L’arrivée de Louis Armstrong, peu de temps après que le trompettiste eut quitté Chicago et le Creole Jazz Band de King Oliver, émancipa certainement les solistes déjà présents dans la phalange hendersonienne, en même temps qu’elle donna à Armstrong l’occasion de surmonter des difficultés d'exécution liés aux arrangements et à la richesse harmonique qu’ils supposaient.
"Copenhagen" est un disque tout à fait important dans l’histoire du jazz. L’arrangement de Don Redman est très clair. Armstrong y prend un bref solo juste après un passage de blues joué par le trio de clarinette (une des grandes originalités d’Henderson, qui est due à Don Redman). Le trompettiste y divise les 12 mesures du blues en 3, et, là où d’autres auraient platement copié les clichés du blues, il renverse le développement mélodique et les parties ascendantes et descendantes. Contrastant les figures, il invente sa manière transcendantale, édifie une architecture complexe et swingue comme rarement il le fit auparavant. Ce disque comme certains autres enregistrés par Louis Armstrong avec FletcherHenderson ("Shangai Suffle", "Go Long Mule") eut un retentissement extraordinaire dans le milieu du jazz harlémite, puis, rapidement, au-delà.
Olivier Douville
Chime Blues - « Smack » Henderson, Fletcher Hamilton (1897-1952) - 78t - Long Island City - 1923-08-00, Black Swan Orchestre : Fletcher Henderson (piano solo)
La compagnie « Black Swan Records », fondée par Harry Pace, est la première compagnie phonographique noire à destination du public noir. Fletcher Hendersontravaille comme pianiste pour la compagnie, il découvre les partitions des thèmes d’Artie Matthews (« The Weary Blues ») et de George W.
Thomas (« New Orleans Hop Scop Blues » et surtout « The Rocks ») qui recourent à des lignes de basses ondulantes en octaves montantes proches du boogie-woogie. Cette connaissance de ce procédé naissant s’illustre dans ce « Chime Blues » composé par Fletcher et qui n’a rien à voir avec le « Chimes Blues » de Joe King Oliver.
On y entend surtout un pianiste délicat, qui n’a pas l’énergie des pianistes stride, ce genre que porte à sa perfection James P. Johnson, et qui n’est pas un irrésistible swingman. La polyrythmie est encore rudimentaire. Toutefois ce morceau qui débute comme un ragtime, tend à quelque chose qui annonce un boogie-woogie encore en gestation, puis retourne au ragtime a bien du cachet. C’est toutefois comme accompagnateur, et tout particulièrement aux côtés de Bessie Smith, que Fletcher Henderson joue au mieux de son piano.
Olivier Douville