Ida Cox - Coffin Blues
Par Olivier Douville
Ida Cox (1896-1967) - Coffin Blues - 78t - Chicago, 1925-09-00, Paramount - Orchestre : Ida cox (vocal) ; Dave Nelson ou Bob Shoffner (cornet) ; Jesse Crump (harmonium)
Ida Cox chante, enfant, dans l’ African Methodist Church de son école. Son oreille tôt se tend vers les arts profanes et on la voit s’enfuir du toît familial et lancer sa carrière en 1903 dans un "Tom Show", soit une adaptation théâtrale populaire du roman de Harriet Beecher Stowe, La case de l'oncle Tom. Elle y joue le rôle de Topsy. Siw années plus tard elle jouit d'un franc succès dans la troupe des « White and Clark’s Minstrels ». Elle tient le premier rôle dans la revue "Raisin Cain" . En, 1922, elle prend ses quartiers à Chicago. Les deux grands du jazz, à ce moment-là, Jelly Roll Morton et King Oliver ont la chance d’accueillir, pour quelques vocaux, cette jeune femme sensible et décidée.
Dans la bonne ville de Chicago, elle enregistre avec les petits groupes organisés par la pianiste Lovie Austin (les « Lovie Austin’s Blues Serenaders » où brillent le trompettiste Tommy Ladnier et le clarinettiste Jimmy O’ Bryant). Sous des pseudonymes variés : Kate Lewis, Velma Bradley, Julia Powers ou Jane Smith, et, le plus souvent, sous son propre nom elle grave alors des blues qui comptent parmi les plus cafardeux et les plus émouvants de ce qui a été enregistré lors des cet âge d’or du blues urbain. Il en est ainsi de ce « Coffin Blues » où une femme parle à son amour défunt, devant la dépouille du disparu. « Daddy Oh Daddy want you answer me please/ Daddy Oh Daddy want you answer me please/ Always I stood by your coffin trying to give my poor heart ease » (Mon chéri, ô mon chéri réponds moi / Je suis là toujours près de ton cercueil essayant de consoler mon cœur).
Ses talents de diseuse distillent et instillent un vécu d’abandon et de détresse primordiale. C’est tout l’amour du monde qui est absorbé par la réalité de la mort. "You told me that you loved me, and I believed what you said
And I wish that I could fall here across your coffin dead " (tu me disais que tu m'aimais et je t'ai cru, et je ne veux plus que me jeter sur ton cerceuil"). Ida ne se plaint plus, elle ne pleure presque plus, elle se tient dans la douleur intimidante et sacrée des délaissées sans recours.
Ce disque est un des plus étonnants et des plus tragiques blues qui aient jamais été enregistrés.
Jesse Crump, à l’harmonium, accentue le côté funèbre de ce morceau avec puissance et pudeur sans jamais tomber dans l’outrance ou le morbide. Ce bon pianiste de blues deviendra l’époux d’Ida Cox en 1929. Ils monteront tous deux un spectacle qui rencontrera une bonne audience dans le sud des U.S.A.
Le cornettiste n’a jamais été identifié. On a avancé les noms de Tommy Ladnier (mais il n’en a pas l’attaque, et Ladnier devait être en Europe à ce moment-là) ou de King Oliver (ce serait alors le lyrisme en moins).
Ce mystérieux musicien se tire fort bien d’affaire, avec une discrétion bienvenue et l’alliage entre sa sonorité et le jeu de l’harmonium fait merveille. De sorte que sa tendance à laisser s’éteindre ses notes dans un vacillement mal contrôlé tombe ici à pic. Aujourd’hui, l’historien John H. Cowley pense que le neveu du King Oliver, Dave Nelson pourrait être ce mystérieux cornettiste. Certains auditeurs sont sensibles à la similitude de jeu entre ce que nous entendons ici et ce que produit Bob Shoffner sur d’autres faces 78 tours que ce soit avec Ida Cox ou avec Luis Russel, en cette année 1925 -ce que souligne aussi le critique Klaus-Uve Durr. Reste l'éventualité d'un parfait anonyme appartenant au Local 208 (Chicago's colored musicians' union).
Ida Cox a eut la chance d’avoir comme manager un artiste d’exception, habile dans les affaires, Big Bill Broonzy. Vers la fin des années trente, vraiment peu de temps après la mort accidentelle de Bessie Smith, le blues urbain revient à la mode. John Hammond, infatigable, organise à New York, au « Carnegie Hall » , les concerts « From Spirituals to Swing ». Y figurent les Michell’s Christian Singers, pour le gospel, Big Bill Broonzy, Ida Cox (escortée de Buck Clayton et de Lester Young) , Sonny Terry, pour le blues, Count Basie et ses musiciens, Sidney Bechet avec Tommy Ladnier, Benny Goodman, James P. Johnson, l’ancien « sideman » de Bessie Smith, pour le jazz.
Contrainte au repos en 1945 à la suite d’un accident cardiaque sérieux, elle reviendra en 1961 dans les studios Riverside pour une belle séance, emplie de nostalgie, avec un accompagnateur de choix, Coleman Hawkins, qui avait, dans le temps, débuté en jouant dans les orchestres de Mamie Smith, puis en enregistrant avec « Ma » Rainey et Bessie Smith.
Un cancer emportera en 1967 Ida Cox, une des plus grandes voix du siècle dernier.
Olivier Douville