Chimes Blues & Snake Rag
"King" Oliver
Par Olivier Douville
Chimes Blues - "King" Oliver - Joe Nathan (1884 ou 1885-1938) - 78t - Richmond, 1923-04-06, Gennet
Orchestre : King Oliver Creole Jazz Band : Joe « King » Oliver, Louis Armstrong (cornets) ; Honore Dutrey (trombone) ; Johnny Dodds (clarinette) ; Lil Hardin (piano) ; Bill Johnson (contrebasse) ; Warren "Baby" Dodds (batterie)
Joe King Oliver ou le père spirituel de tous les trompettistes de jazz.
On considère maintenant que c'est le 19 décembre 1884 que Joseph Nathan Olivera vu le jour sur les terres de la Plantation Salsburg, non loin de la localité d'Aben, et de celle de Donaldsville, bourgades sises à environ 80 kilomètres de la Nouvelle-Orléans sur le rive ouest du Mississippi. C'est le fils naturel de Jinnie Jones décédée alors que Joe allait sur ses seize années, et d'un pasteur itinérant, Nathan Oliver né au tout milieu du XIX° siècle et qui ne s'est guère occupé de lui.
Son adolescence est marquée par des débuts musicaux ingrats dans des fanfares où il s'évertue à jouer du trombone. Les autres fiches sur les faces du Créole Jazz Band nous en apprendront davantage.
Figure phare de la musique noire de la Nouvelle-Orléans, King Oliver, part pour Chicago en 1920, puis à San Francisco et s’établit enfin de retour à Chicago où il fixe son orchestre dans le prestigieux "Lincoln Garden" (qui était l'ancien "Royal Garden",450 East 31st Street, refait à neuf, cf. le morceau prisé de Bix Beiderbecke "Royal Garden Blues"). Il fait appel à un jeune de la Nouvelle-Orleans, Louis Armstrong, en août 1922, un jeunot d'avenir et son protégé à qui il a prodigué ses conseils et avec qui il grave le 6 avril 1923 ses premières cires.
L’ensemble des faces du Créole Jazz Band – où brillent aussi les frères Dodds- est un témoignage irremplaçable du jazz louisianais. Blues, marches, ragtimes, et compositions originales composent le répertoire. Le style de l’orchestre est inventif, et bien émancipé par rapport à ce qui continuait de se jouer à la Nouvelle-Orleans. La fidélité à la polyphonie originale (exposé du thème à la trompette ou au cornet, broderie de la clarinette, jeu du trombone qui, par des glissandos, souligne les harmoniques) n’exclut ni l’invention (interventions de deux mesures - ou break- jouées aux deux cornets) dans les ensembles, ni la mise en avant de solistes. Dont Armstrong.
On peut considérer d’après certains témoignages qu’au Lincoln Garden, le jeune Armstrong jouait beaucoup plus en solo qu’il ne le fait sur les faces enregistrées à cette époque.
Ce morceau est novateur en son ensemble. Il consiste en une succession de solos de deux chorus. Le solo d’Armstrong consiste en une simple phrase d’une mesure, sans doute fixée à l’avance par King Oliver, et rejouée en suivant les variations harmoniques de base de la composition. Si sa mise au point rythmique n’est pas encore parfaite, Armstrong « tourne » autour du temps, toute sa sonorité impériale et chaude est là, déjà. Un envol. Dans un autre morceau de cette même séance, "Froggie Moore", moins réussi au plan de la cohésion d’ensemble, Armstrong swingue de bout en bout.
On ne peut que regretter que les studios d'enregistrement se soient montrés si pu apte à capter la batterie de "Baby" Dodds, au point de ne pas l'autoriser à utiliser sa caisse claire (alors que les "ingénieurs du son" des faces gravées par Pryor et antérieures de onze années à cette présente gravure avaient su enregistrer avec bonheur la batterie complète de Lent)
Olivier Douville
Snake Rag
Par Olivier Douville
Snake Rag - "King" Oliver - Joe Nathan (1884 ou 1885-1938) - 78t - Richmond, Indiana, 1923-04-06, Gennet
Orchestre : King Oliver Creole Jazz Band : Joe « King » Oliver, Louis Armtrong (cornets) ; Honore Dutrey (trombone) ; Johnny Dodds (clarinette ) ; Lil Hardin (piano) ; Bill Johnson (contrebasse) ; Warren « Babby » Dodds (batterie)
Le Roi Oliver, de 1907 à 1918, après avoir abandonné le trombone de son adolescence et travaillé dur le cornet a connu la vie typique d'un musicien de la Nouvelle-Orléans, qui jouait d'une fanfare à un bal, d'un bal à un salon, d'un salon à des animations de pique-nique, sans oublier les mariages, ni, surtout les enterrements. Il est réputé pour être le premier à avoir tenté de modifier le son de la trompette et du cornet en posant des verres, des flasques d'alcool ou des débouches éviers devant le pavillon des instruments.
Le pianiste et chef d'orchestre néo-orléanais Richard M. Jones se souvient du sacre de celui qui n'était alors que Joe Oliver, un modeste joueur de cornet encore considéré de haut par Freddie Keppard ou Manuel Perez. "Freddie Keppard jouait dans une boîte de l'autre côté de la rue, et tous se précipitaient pour l'entendre. Moi j'étais à mon piano à ce moment-là lorsque Joe Oliver me demanda avec une drôle de voix nerveuse, de me mettre à jouer en Si mineur, sans même préciser sur quelle chanson je devais le faire. Alors il se posta sur le trottoir, porta le cornet à ses lèvres, et joua le truc le plus invraisemblablement beau que je n'avais jamais entendu encore. Les gens qui étaient tous collés à la musique de Keppard vinrent en masse près de Joe qui vraiment donnait l'impression de jouer tout ce qui pouvait être joué sur un cornet. Depuis ce moment-là, nous avons toujours fait salle comble et Joe avec un grand sourire me dit qu'aucun concurent ne pourrait l'ennuyer maintenant".Très admiré par ses pairs, il n'en voyage pas moins, sur le côte Ouest d'abord, puis à Chicago. Et commence l'aventure du "Creole Jazz Band".
Un vieux thème qui peut rappeler des parfums antillais, ce rag du serpent n’est pas sans évoquer le tube martiniquais de Stellio « serpent maigre » qui lui est contemporain. C’est aussi, ce serpent, le cheval de bataille du Creole Jazz Band, tant il sollicite les breaks à deux cornets qui firent sensation et saisissent encore. Les auditeurs du Lincoln Garden trouvaient stupéfiant que Joe Oliver et Louis Armstrong puissent ainsi improviser des figures rythmiques et harmoniques complexes avec une telle complicité.
En fait les « break » avaient été prévus d’avance. Et les amateurs ne nous en voudrons pas trop de briser la nigaude beauté d'une légende. L'orchestre disposait bien sûr des partitions écrites qui si elles n'étaient pas de sortie tous les soirs n'en était pas moins le support avec lequel les musiciens s'exercaient et répétaient. Et s’il venait à la fantaisie du leader de placer un break, tout de même assez prévisible, alors que la clarinette et le trombone jouaient à pleins poumons, il le jouait tout doucement à son encore disciple Armstrong et celui-ci, avec son sens de l’à-propos et de l’anticipation, inventait sans difficultés la réponse harmonique qui convenait à cette phrase musicale.
Louis Armstrong a écrit: "King Oliver and I got so popular blending the jive together that pretty soon all the white musicians from downtown Chicago would come there after their work and stay until the place closed." (le King et moi sommes devenus tellement célèbres à souffler ce truc ("jive" signifie ce truc qui ne peut qu'appartenir à la musique afro-américaine)tous les deux que tous les musiciens blancs de la ville basse de Chicago se pointaient après leur travail et restait jsuq'à la fermeture".
Ces nouveautés radicales permettent de mieux comprendre le fonds stylistique traditionnel dont elles sont les prolongements conquérants. D'une part, il apparaît que les principales composantes de cette musique, comme celles de toute polyphonie louisianaise, sont d'ordre rythmico-mélodique et que les harmonisations sont assez sommaires, et, d'autre part, les passages en 5/6 ou 6/7 des instruments donnent naissance à une harmonisation continue. L'harmonisation du jazz New-Orléans, où qu'il soit joué, découle directement des polkas, marches militaires, spirituals, work songs et blues. Déjà le mélange s'annonce copieux mais bien épicé et bien instable. Et la construction harmonique repose le plus souvent et le plus clairement sur des accords diatoniques formés de deux tiers superposées, siuccédant à des accords de septième.A partir de ces repères élémentaires, l'ensemble des musiciens impliqués dans le jeu des variations polyphoniques et qui construisent leurs esapce sonore à trois ou quatre voix, s'attache à reconstituer l'harmonie diatonique du thème que signale le jeu de la section rythmique.
Olivier Douville