Chicago Stomp - Jimmy Blythe
Par Olivier Douville
Chicago Stomp - Jimmy (1901-1931) Blythe - 78t - Chicago, 1924-04-00, Paramount - Orchestre : Jimmy Blythe (piano solo)
De la vie de Jimmy Blythe, que savons-nous ? rien ou si peu. Alors que les anecdotes abondent et parfois s'inventent au fur et à mesure que défilent les souvenirs des musiciens parlant des premiers temps du jazz, le vie de Blythe se réduit à quelques lignes dans les meilleures biographies.
Sa discographie, en revanche, est impressionnante ; l’excellence de son soutien rythmique et son sens aigu du blues, mais encore sa connaissance approfondie des structures harmoniques issues du ragtime et encore usitées dans les chansons à succès font de lui un accompagnateur recherché par de nombreuses et grandes dames du « blues » et du « song » dont Gertrude « Ma » Rainey, Berthe « Chippie » Hill, Monette Moore ou Priscilla Stewart.
Sous sa direction, il réunit et fait enregistrer de petits combos, aux noms pittoresques : Les « Blythe's Owls », les « Jimmy Bythe and his Ragamuffins » , les Blythe's Washboard Band » ou encore les « Blythe's Washboard Ragamuffins » ou les « Blythe's Sinful Five » . Habitué des studios Gennet, Paramount ou Vocalion, il grave des cires assez souvent avec Johnny Dodds, Jimmy Bertrand, Punch Miller et W.E. Burton.
A peine dans sa seizième année, le jeune Blythe quitte son Kentucky natal et part rejoindre sa sœur aînée, Elfie, à Chicago. Il y suit les enseignements du pianiste de ragtime, chef d’orchestre et compositeur Clarence M. Jones.
Star locale, ce dernier est un inlasable graveur de piano rolls, dont l’invraisemblable "Thanks for the Lobster" ("Merci du Homard")pour la compagnieFrank K. Root & Co., en 1914.
L’écoute de « Chicago Stomp » permet de tenir pour peu conséquente la thèse trop répandue d’une influence importante du maître sur le disciple. Certes, en compagnie de Clarence M. Jones, pianiste brillantissime mais superficiel, Blythe a acquis une grande labilité de style. Et comme cela fait de lui un des pianistes les plus complets et les plus capables de son époque, il va jouer des « fox-trot », des marches et des valses, et en graver aussi sur piano roll, à la demande expresse de la firme Columbia. Ce sont là des œuvrettes de circonstance, décoratives quoiqu’un peu trop délicates pour n’être que factices.
Le véritable apport de Blythe est ailleurs. Il réside dans son sens du blues – de cette musique nègre que les coquetteries de Jones refoulaient. Là, son inspiration ne se relâche pas, l’esbroufe n’a plus droit de cité. « Chicago Stomp » est sans doute le premier solo de piano intégralement boogie-woogie enregistré. Ce genre essentiellement pianistique est une façon de jouer le blues qui suppose une nette indépendance des deux mains.
Alors qu’à la gauche, le pianiste délivre des motifs obsessionnellement repris et qui offrent une assise rythmique implacable, à la droite, il va broder, inventer des courtes phrases ciselées ans l’aigu.
Jimmy Blythe décède d’une méningite à l’âge de trente ans. Son art mérite d’être redécouvert. C’est celui d’un des pianistes les plus doués et les plus authentiques de sa génération. Sans doute le plus en contact avec les racines profondes, fécondes et populaires de cette vie musicale sise à la frange du jazz et du blues.
L’autre face de ce 78 t. « Armour Av. Struggle » est aussi joliment enlevée et inspirée. D'autres solos de lui sont à connaître, en particulier "Mr. Freedie Blues" (Chicago, mai 1926) et "Sweet papa" (Chicago, mars 1928).
Olivier Douville