Carolina Shout - James Price Johnson
James Price Johnson - (1894-1955)
Par Olivier Douville
James Price Senior Johnson est une figure de transition importante entre le ragtime et le jazz, au moins au même titre que le sémillant Eubbie Blake
Dès l’enfance, il étudie le piano avec sa mère Joséphine, chanteuse dans une église méthodiste, et s’entraîne tôt à jouer dans le noir absolu afin d‘acquérir la meilleure maîtrise possible des 88 touches du clavier. Il a 14 ans lorsque sa famille s’établit à New York, où il apprend le ragtime avec le légendaire pianiste Abba Labba (Richard Mc Lean) ; un an auparavant, il avait acquis les bases de la composition et de l’harmonisation classique sous la férule de Bruno Giannini, professeur italien de chant et de solfège.
L’école de ragtime de New York était la plus disposée à transposer au piano les effets du pupitre des cordes d’un orchestre symphonique classique et à incorporer dans les compositions pour piano des bribes de mélodies de Litz, de Grieg ou encore de Rachmaninov. Des pionniers tels Abba Labba ou Eubie Blake poussèrent ce syncrétisme à un point de perfection formelle rarement atteint ailleurs. Parlant du jeu de Johnson, Gravin Bushell dit souvent y entendre la « patte » de Abba Labba.
James P. Johnson se promène dans tous les genres, improvisations pianistiques, compositions, écriture de revues, symphonie (« Drums – a Symphonis Poem » en 1932) et opéra (avec le poète Langston Hughues « De Organizer », 1938).
Mentor de Thomas « Fats » Waller, Johnson invente un procédé stylistique qu’il systématise : le « stride » (ou « pompe ») qui implique que la main gauche joue un octave sur les temps forts et un accord plein sur les temps faible. Ce tour perd rapidement de sa rigidité pour gagner en inventivité. A cette alternance stricte se substitue de plus en plus, comme c'est ici le cas, la formule deux basses suivies d’un accord qui précède une troisième basse.
Cette face de 1921 « Carolina Shout » est considérée comme le premier disque de piano-jazz. Si on, compare cette version au "piano roll" que Johnson a gravé pour « QRS » en 1918, on se rend compte que le pianiste a modifié l’assise rythmique de sa composition en la diversifiant et en la rendant plus swingante.
On imagine aisément Johnson jouant sur son piano, à Harlem les fenêtre grandes ouvertes. Nous sommes au cœur des années vingt et Thelonious Monk, encore enfant, passe dans la rue ; il se remplit les oreilles de ce jeu orchestral puissant souple, capricant et logique. Il danse sur les figures que trace la main gauche des pianistes, à la fois implacables et légères.
C’est que l’influence musicale de Johnson, relayée dès 1929 par la flamboyance de l’art de Thomas "Fats" Waller, est des plus importantes : de Fats donc à Willie Smith "the Lion" ou Pat Flowers, mais jusqu’à Duke Ellington pianiste ou encore Thelonious Monk qui s’en est souvent réclamé.
Olivier Douville