Dixieland Jazz Band One Step
Dominic James "Nick" La Rocca
Par Olivier Douville
Dominic James "Nick" La Rocca - (1889-1961) 78t - New York, 1917-02-26, Victor talking Machine - Orchestre: Original Dixieland « Jass » Band : Nick la Rocca (cornet) ; Larry Shields (clarinette) ; Eddie Edwards (trombone) ; Henry Ragas (piano) ; Tony Sbarbaro (batterie)
Amateur découvre toi ! Tu es en face du premier disque de « jazz » enregistré. Certes il y eut avant des faces et des faces de ragtime mis en conserve, assurément Freddie Keppard a refusé en 1916 de graver des cires de peur qu’on lui pique ses idées, son doigté et son âme… qu’importe voilà la première pierre, la première borne moussue de nostalgie ! (Des sources anecdotiques indiqueraient une session précédente, le 24 janvier 1917 pour la firme Columbia, il n'en a pas été retrouvé la moindre trace.
Par ailleurs le nom "O.D.J.B." a été employé par un groupe de musiciens, en 1935, où figure le trompettiste Phil Capicotta, et d'où ne subsite que le batteur du "vrai" O.D.J.B", puis encore par l'orchestre étoffé que dirige La Rocca avec le pianiste Robinson, le clarinettiste Shields et toujours l'inamovile Sbarbaro. Collectioneur, ne te précipite pas : ces deux séries tardives d'enregistrements sont vaseuses et sans flamme.)
Dominique (dit « Nick ») La Rocca , natif de la Nouvelle-Orléans (photo 2 ci-dessous), a fait partie de ces orchestres de musiciens blancs, actifs autour du batteur « Papa » Jack Laine et de son "Papa Laine’s Reliance band", sympathique orchestre de fanfare policée et de ragtime accomodé, mais véritable académie pour les lousianais blancs et créoles. C’est que la bonne ville louisianaise a donné naissance à bien des styles différents de musiques et de musiciens du policé créole au gominé des orchestres de salon ou encore au déjanté des orchestres de bouge et au clinquant virtuose des pianistes de bordel de luxe ! (cf. la fiche "Tin Roof Blues" des N.O.R.K de Paul Mares)
Nick, lui, c’est surtout un compositeur fécond de thèmes qui firent tout le répertoire au presque du jazz dixieland : "At the Jazz Band Ball" (par quoi s’illustrèrent Bix Beiderbecke et Muggsy Spanier), "Original Dixieland One-Step" (tel sera le titre définitif du morceau ici chronique et que Coleman Hawkins magnifia lors de son séjour en Hollande avec l'orchestre des Ramblers au début des années 30), "Sensation Rag" (revisité par Benny Goodman avec Terry Gibbs), etc.
La phalange qu’il rassembla en mai 1916 connut son heure de gloire. Installés à New-York en tant qu’orchestre du "Paradise", le dancing du prestigieux "Reisenweber’s Restaurant" (Columbus Circle, 8° av. et 56° rue), les cinq gars de l'Original Dixieland "Jass" band (O.D.J.B.) y font danser le gratin de la ville. L'endroit était bien choisi tant il était fréquenté par tous les snobs de la ville, les fêtards et quelques artistes, bref un public qui se faisait un point d'honneur à ne jamais être en rade des derneirs cris et des excentricités montantes. Pour pimenter leur numéro ils se sont tous déguisés en "ploucs" du sud profond avec blue-jeans, foulards et chapeaux de paille. Avant eux des orchestres de ce qui allait être nommé jazz s'étaient produits, dont le "Créole Band" de Freddie Keppard, mais c'est l'O.D.J.B que les compagnies phonographiques prennent d’assaut et dont elles veulent le monopole d’enregistrement. Victor l’emporte. Mais dans la courant de l’année Columbia et Auréola organiseront d’autres séances.
En 1919, c’est le voyage en Europe, à Londres où la famille royale goût de façon diverse le swing encore sautillant des cinq compères.
Parenthèse amusante : convaincus que le jazz est mauvais pour la santé des expérimentalistes profanes forcent l’orchestre à jouer au zoo devant les ours « blancs » en 1921. Le vétérinaire est formel, les plantigrades artiques ne sortent pas zinzins de l’affaire, tout justes restent-ils indifférents, ce qui n’est pas le cas de nombreux européens qui sautillent jsuqu’à la syncope à l’audition de la sympathique musique de l’O.D.J.B.
Autre exploit notable ; c'est à partir du "Copley-Plaza Hotel" de Boston que l'O.D.J.B. inaugure la formule de la retransmission de concert en direct, par radio, en 1923
Soyons juste. La musique de ces 5 joyeux lurons n’est ni mauvaise ni déplaisante, du moins celle qui s'enregistre jusqu'à la fin de l'année 1919 (La session avec le saxophoniste Benny Krueger en avril 1920 étant pataude et trop rococo). Nous sommes loin des fondamentaux orléanais, loin de la puissance d’un Oliver ou d’un Ladnier, loin encore de la richesse polyphonique du Creole Jazz Band ou de la poésie d'un Piron. Mais c’est une musique joyeuse et fort bien mise en place. Et puis, un vrai musicien émerge ici. Le clarinettiste Larry Shields (1893-1953) qui a joué auparavant à Chicago dans l’orchestre légendaie du tromboniste Tom Brown (la première que l’on associe au mot « jass ») et sera employé bien après par Paul Whiteman. Sonorité fluide, grand sens de l’improvisation, élégant, Shields fut un modèle pour le jeune Benny Goodman.
On l’entend aussi à son avantage dans la reprise de ce thème, 19 ans plus tard, lors d’une recomposition de circonstance del’O.D.J.B (avec Russel Robinson au piano remplaçant Rags mort en 1919) toujours pour la firme Victor. Cette même session lui donne encore l'occasion de briller sur un Tiger Rag de belle trempe.
Le verso de ce 78 t « Historique » est "Livery Stable Blues" thème léger et interprétation truffée d’interventions grotesques des musiciens qui veulent imiter les cris des animaux de la ferme.
On a fait, depuis, plus drôle et plus fin. "Dixie Jazz-Band One Step", habile transposition d'un vieux ragtime "That Teasin' Rag", morceau plus enlevé, demeure, en revanche, une jolie réussite. Le disque qui se vendit très bien (plus d'un million d'exemplaires) intégrait souvent le barda et de la cantine des soldats américains partis se battre en Europe.
Olivier Douville