Les trajets d'Ulysse et la dimension du Père

Par Olivier Douville [1]

<< Ce qui fait que dans l'Odyssée on pourrait comparer Homère à un soleil couchant dont, sans la force, subsiste la grandeur. Mais comme l'Océan quand il se retire sur lui-même,

et s'isole dans les limites qui sont les siennes, voici qu'apparaît dorénavant le reflux de la grandeur et, dans les récits fabuleux et incroyables, l'errance >>

(Denys Longin)

<< Qu'aurait été Achille sans Homère, Alexandre sans Arrien ou Quinte-Curce ; qui auraient entendu parlé des Césars si Suétone et Dion Cassius n'avaient pas existé ? >>

(Robert Burton)

Homère : un aède [2] ou des aèdes ?

S'il fut un seul et même personnage à répondre au nom d'Homère, ce que nous aimerions croire, il fut alors le plus illustre de ces récitants inspirés[3]. En 1621, rédigeant sa synthèse géniale et démesurée au sujet des œuvres que la mélancolie avait marqué de son ombre, Robert Burton place Homère au principe d'une lignée de poètes et philosophes inspirés et versés dans l'occulte : Hermès Trismégiste, Musée, Orphée, Pindare, Phérécide de Syros, et Épictète. Bien avant lui, les ruines des civilisations antiques ont pu s'écrouler les unes sur les autres, il se trouva toujours un conquérant nouveau, suivi d'une filiation de clercs pour permettre à la gloire d'Homère de survivre, même aux temps où ses deux grandes œuvres [4] étant devenus inaccessibles demeuraient presque inconnues. Autrefois, Alexandre le grand se couchait avec les œuvres d'Homère à son chevet et lorsqu'il se vit offrir un coffret luxueux d'immense valeur par le roi Darius et que tous lui firent des suggestions sur les biens inestimables qu'il devait y conserver à jamais, il décida d'y déposer les œuvres d'Homère, d'après lui le plus beau joyau de l'esprit humain. Homère était, selon Quintillien, le maître du récit <<plein de sens évident>>[5]. Les sabéens de Harrân considéraient Homère -ainsi que Aratos, Hermès et Agathodaimon [6] comme un prophète.

Pourtant la naissance de la philosophie grecque, soucieuse de consacrer l'unité du Logos et consommer ainsi une assez nette rupture entre le monde des hommes et celui des dieux, voulut oublier l'impact des récits homériques. Platon pensait pouvoir chasser hors de la cité les récits d'Homère [7]. La chaîne des prisonniers de la caverne, appelée à se rompre par tout le secours de la dialectique platonicienne, ne serait-elle pas la chaîne d'or d'Homère qui joint le terre au ciel et à laquelle tout homme est attaché ? L'effort de conjuration fut vain. Le mythe véhiculait sa propre raison, ses fantaisies se déployaient sur les rosaces d'une structure que nous tenterons d'interpréter autour de la dimension du père en exil.

De médiocres résumés latins conservèrent l'héroïsme de L’Iliade et le fantasque de L'Odyssée. Aristarque, au X° siècle, fut responsable des recensions alexandrines de ces deux grands poèmes dont les versions ultérieures seront toutes tributaires. Les hellénistes plus tardifs ont poursuivi ce travail d'établissement du texte en héritant du travail philologiques des Alexandrins et des Byzantins. Le Haut Moyen-âge et la Renaissance furent l'âge d'or de la diffusion des deux textes, et, dans une mesure bien moindre, des Hymnes dites homériques ensemble de poème à l'époque attribués tous à Homère [8]. À leur façon les esthètes du quattrocento -dont Bruni- exhortaient les sculpteurs et les peintres à être homériques. Pétrarque et Boccace, quant à eux, apprirent le grec afin de pouvoir lire Homère. C'est à partir de ce capital, fidèlement construit par les âges, et composite, depuis peu enrichi de manuscrits qui ne furent retirés du sol égyptien qu'en 1960, que nous apprenons à lire Homère, aujourd'hui [9].

De l'existence supposée d'Homère que savons-nous ? Rien ou si peu. Hérodote[10] nous parle d’un Homère qui devant mendier pour vivre, "allait de maison en maison en chantant des ballades, accompagné d'une troupe de garçons". Nul ne précise l'origine de sa vocation et l'anecdote selon laquelle il se serait fait poète pour surmonter la honte de n'avoir pas su répondre à une énigme que lui posait un pêcheur quant à l'origine de sa pêche n'est qu'une plate transposition d'un conte persan, lointaine rumeur sans consistance et sans importance.

La tradition, qui a mille raisons de procéder ainsi et ne se trompe point sur ce plan, voit en Homère un Grec d'Asie Mineure. Cette localisation est attestée par l'usage que fait l'auteur supposé de L'Odyssée du dialecte ionien qu’il agrémente de la saveur et de la faconde métaphorique de divers parlers propres à sa région natale, tels que l'éolien. Le poète rassemble des parlers qui, bruissants d'expression archaïques, restaient en usage dans les rares portions des territoires de Chypre ou d'Arcadie où quelques chanteurs itinérants en conservaient à l'époque une mémoire affaiblie.

Homère - à supposer donc qu'il ait existé - est à lui seul un conservatoire, une mémoire, un dispositif d'archivage sans précédents. Le plus grand et le dernier des aèdes, il unifie en un même chant des bilinguismes épars, il collige les traces mnésiques en suspend dans l'expression populaire de son temps [11]. Dans ses poèmes, la veine épique - qui n'est pas encore une tradition narrative- unit avec bonheur deux courants de religion : l’ un sera à la base de la religion grecque << classique >>, conserve son passé indo-européen. Un second représente un substrat asiatico-égytpien où les divinités féminines tiennent une place prépondérante.

Ulysse, pas plus que son << créateur >>, Homère, ne sont éloignés de cette prime souche de croyance et du transfert au féminin qui en procède. Il n'est guère douteux, par exemple, que le rapport très particulier d'Ulysse à la voix féminine soit à situer du côté de la fonction de l'objet voix dans les mystères égyptiens (dont les cultes d'Isis encore en vigueur dans la Rome des douze Césars). On considère encore qu'Hélène ait été à l'origine une petite divinité agraire asiatico-égyptienne[12]. Remarquons enfin que le partage entre bons et mauvais démons est tenu pour erronée et inutile. Homère appelle ainsi démons tous les esprits.

Ulysse ou Homère sur les routes marines

Le parcours et le projet esthétique d'Homère confèrent à celui d'Ulysse logique, moteur et consistance. L'Odyssée explore et recense des lieux d'inscription des voix et des paroles, des traces mnésiques dirions nous aujourd'hui, à l'occasion d'un retour impossible immédiatement, sans cesse ajourné, retardé, repoussé. L'effort et l'effet de cette narration qui, du politique de L'Iliade voit succéder le métapsychologique de L'Odyssée font dans cette œuvre ultime se tresser en séquences les sons des mots perdus, leur sens et leur matière; l'aède morcelle et projette des mémoires de langues et de voix sur le point de s'éteindre, dans les échos pittoresques des parlers des cours divines ou héroïques, dans les grognements des Cyclopes, au sein de la mortelle douceur des chants de celles qui lient le marin au ravissement qui fait périr : les Sirènes.

À cet égard, il n'est pas indifférent de constater qu'Ulysse se fera à sont tour aède, au moment même où (Chant IX) recueilli par Nausicaa et Alcinoos, il prie Démodécos de lui chanter l'histoire du cheval de Troie. Cette fois, lui qui se déplaçait sous le visage d'emprunt de l'étranger, de l'anonyme ou du mendiant, ne peut plus masquer son émotion. Alcinoos l'incite à se nommer, à conter ses aventures. Ulysse entend dans le récit du cheval de Troie qui lui est fait, l’inscription de sa ruse [13] dans la narration politique. Au moment où le héros s'égarait encore dans les sites captateurs et obscènes du mythe, la mémoire humaine, celle qui a archivé et peut énoncer le temps de l'Histoire n'a pas effacé le nom et les actes du voyageur exilé : Ulysse. La reconnaissance précède ici la re-naissance à la déclaration de soi. Ulysse retrouve le sens et le goût d'une altérité humaine, d'une altérité nantie d'un savoir possible et en qui se confier. Une altérité de bonne foi, enfin ! Ayant été mis en récit par la mémoire de l'actuel historique, il se nomme et accepte de chanter le récit de son retour de Troie. Ulysse l'aède chanté par l'aède Homère …

Ce n'est que par la suite, et dans ce mouvement où il devient donc un aède, c'est à dire un dispensateur d'ordonnances de signifiants maîtres, qu'Ulysse peut conter à la suite les uns des autres les épisodes fantastiques que notre mémoire à gardé, avec parfois insouciance et gourmandise coupable pour le cliché et le phénoménal, et qui sont le massacre commis sur les Cicones, puis par eux prolongés en représailles, les mauvaises et terrifiantes rencontres avec les Lotophages et les Cyclopes (chant IX) , la rencontre amoureuse de Circé, enchanteresse gardienne des rites initiatiques, des pratiques funéraires et donc des métamorphoses (chant X). Poursuivons. Soutenu par l'unique compagnie protectrice de son compagnon Eurylochos, Ulysse va réaliser le grand rêve de l'humain, ce rêve d'échapper à la zoologie, alors que ses petits camarades sont métamorphosés en pourceaux par l'action des philtres de Circé[14]. Le deuil, la consultation de Tyrésias aux royaume des morts précèdent le retour auprès de l'enchanteresse (chant XI). Vient ensuite, mais après toute cette énumération et seulement après elle, le poteau-mitan de L'Odyssée (son exact milieu, le chant XII) : le ravissement déjoué du chant des Sirènes, sur lequel je reviendrai, le heurt dans la chaos de Charybde et Scylla, enfin la préforme d'une altérité reconstruire qui fait circuler de l'interdit autour d'un animal "totémique" : le bœuf d'Hélios. Le retour à Ithaque se fait en compagnie de Télémaque parti dès le début du livre à la rencontre de son père et par lui retrouvé chez Eumène. .

Ulysse et ses compagnons embarqués dans ce drôle de voyage.

Un voyage à la surface des flots par lequel le sujet Ulysse, que son désir mène par le bout du nez et dont il ne saisit ni ne saisira le chiffre, est provisoirement interdit de retour. Condamné par de divins courroux à errer pendant dix ans encore avant de revoir sa ville d'Ithaque pour le meurtre du fils d'Andromaque et d'Hector, Astyanax [15], ce navigateur d'exception est de la sorte enjoint de vivre des expériences initiatiques, des épreuves qui le confrontent à un monde pulsionnel où les lois et les servitudes de l'humanité ne sont pas encore connues. Ce voyage n'est pas une dérive. À l'image d'un parcours initiatique, il livre un sujet à une grande cinétique d'objets pulsionnels, de héros aussi métis qu'une formation de l'inconscient : mi-dieux et mi-hommes, mi-hommes et mi-bêtes. Le monde du voyage d'Ulysse est au sens strict infantile, jusqu'à la retrouvaille avec une voix courroucée mais entièrement compréhensible à l'esprit d'un grec de cette époque : la voix d'Hélios porteuse de l'interdit de sacrifier le bœuf sacré. Le périple d'Ulysse lui fait connaître un monde où les lois de Zeus, données aux humains, n'ont aucune validité ni aucune efficacité. Ulysse est sorti du monde des hommes, ce monde des mangeurs de pain, ce monde où il veut faire retour inlassablement. Ce monde hospitalier, sis de l'autre côté du cap central au périple, le cap Malée, fait se croiser et se croiser encore des routes et des parcours où se reconnaissent et commercent entre eux les hommes cuiseurs et mangeurs de pain. Dans ce monde qu'il rejoindra in fine, les hommes, ces enfants du temps consomment le temps du signifiant [16] qui transforme l'objet, à l'inverse du temps mythique, celui de Chronos, pour lequel le temps ne se laisse pas manger mais dévore ses propres enfants.

Le voyage, dans le fantastique de L'Odyssée , décrit sans les faire se rejoindre des lieux de grande solitude, de grands isolements, des îlots aux franges dangereuses. La science d'Ulysse, sa métis, ne réside-t-elle pas dans sa faculté à jouer avec le langage et à jouer avec les seuils ? Ulysse un passeur ? Pensons-y. Circé "la merveilleuse" [17] transforme en pourceaux ceux qui l'approchent. Des chairs décomposées recouvrant de leur boue lépreuse des floraisons d'os éclatés se cristallisent en un corail funeste autour du rocher où gémissent les sirènes. Dans ce monde en delà du cap Malée, aucune des créatures rencontrées n'est embarrassée d’une dette de vie aux Dieux. Ce monde hallucinant est lourd d'une éternité. Il anéantit. Ni passé, ni futur. Os s’y désaltère d’oubli, les pharmakon, les népenthès, à la manière de modernes antidépresseurs et anxiolytiques, s'y déversent en une languissante répétition. La mer n'est plus commune. Dépourvue de courants porteurs, elle s'alanguit ou se met en fureur et brise en morceux. Tout se fige ou se rompt brusquement. Le geste humain est un simulacre perpétuel. Les banquets d'Éole n'ont ni début, ni fin, ni rythme. Les divinités mangent et recrachent les humains, elles donnent la mort ou l'oubli, dans une jouissance languide, sans cruauté ni joie. La parole ne négocie rien. Simple code, elle s'agonise ou se fait piège mortel. Le nom ne vaut rien au milieu de ces terres incultes. Il ne sert pas à protéger de la mauvaise mort dans ces territoires où pas davantage la cuisson du pain que la sépulture du corps ne sont connues.

Revenons au plus banal. On a beaucoup glosé sur la ruse d'Ulysse qui le fit se présenter comme << personne >> à un Polyphème, ce cyclope assez idiot, nécessairement idiot, puisque non inscrit dans le registre du semblant cet imbécile prend n'importe quel énoncé au pied de la lettre. Il faut reconnaître aussi, et sans doute plus encore, que ce pays des Cyclopes ruine le nom. Ulysse, comme il le fera plus tard face aux Sirènes -mais les a-t-il vu ?-; retourne en ruse le délitement du signifiant. De la catastrophe subjective qu'est la terreur de perdre l'écho de son nom -car c'est ce qui se produit pour le voyageur qui s'aventure dans une contrée où nul ne respecte les interdits qui humanisent l'espèce -il en fait une arme, la retournant comme une parade. Il prend pour nom un nom vidé, acéphale : il devient personne. Et borde ainsi le vide. Plus loin, il se lie au mât du navire, rivé à une hallucination que souligne l'empêchement de la motricité. Afin de résister à l'appel des sirènes - ce passage subit du cri (vers 181 du livre XII) au chant clair (vers 183 de ce même livre)- celles dont le nom signifie aussi "les lieuses, celles qui attachent avec une corde"[18], il se fiat doublement attacher par ses compagnons, il dérobe ainsi leur nom, forme de joke retournant le signifiant, le dédoublant.

Les Sirènes, une confrontation qui tient en à peine vingt vers dans tout le poème de L'Odyssée. Une lutte est engagée entre la rencontre mortelle et la rencontre à venir, c'est à dire la retrouvaille authentique qui inclut et implique la fait que les deux époux, Ulysse et Pénélope, se reconnaissent avec et dans leurs changements. Une lutte entre le désespoir du ravissement (ou le ravissement du désespoir) et la volonté ulyssienne de ne pas être la marionnette des dieux, mais de les mettre en conflit et de jouer avec leur conflits. La voix des sirènes n'est pas l'agent d'un discours, elle insiste à être le rien de l'objet. Par elle capté, le sujet se réduit alors à une pure présence, sans demande et sans ruse, tout juste bonne à périr dans le réel de la Chose. L'infidélité d'Ulysse à la gourmandise résignée des Sirènes[19], qui lui promettaient pourtant de conter l'histoire de Troie comme aucun humain n'aurait pu le faire, a pour contrepartie sa fidélité obstinée à la voix humaine, au chant humain et au récit humain. Ulysse se sait exilé de l'objet perdu du refoulement originaire : le regard increvable et la voix illimitée, dirions nous en usant trop du jargon psychanalytique. Il sait, dans une oscillation entre impuissance et ruse, résister dans des moments de passe et d'après-coup à la jouissance qu'il y a à devenir un perméable absolu, confronté à de l'autrui dépourvu d'altérité.

S'ouvre alors un espace de transmission.

Les rives du retour ne sont pas perdues à jamais.

La course reste immuablement circulaire pourtant et sa dérive est calculée par les dieux qui y fixèrent un terme. Le retour n'est que différé. L'exilé tourne sur lui-même, mais à chaque tour il réécrit l'humanisation du nom. Il refuse ainsi d'étreindre le fantôme du corps maternel qui vient vers lui dans le peur verte des enfers. Aurait-il pu sinon repartir ou, du moins, résister à la mélopée des sirènes ? Il réinscrit les corps bafoués, perdus par accidents, de ses compagnons morts et, pour l'un d'entre eux enivré d'un mauvais abus de vin et fracassé au sol, en contrebas de la terrasse de Circé, dont il rencontre le fantôme aux enfers, il retrouvera le sens du rite funéraire. Là encore, Circé, la grande dispensatrice d'oubli, initiera a contrario de sa propre vocation d'enchanteresse le héros grec au sens et au goût de la communauté humaine : celle des vivants qui savent honorer leurs morts. Dans son errance lourde de ses peurs, par le biais de ses ruses et de ses entêtements, grâce à la juste connaissance qu'il a plus qu'aucun autre de ce qu'est la voix humaine[20], Ulysse construit une route. Ceux qu'ils croisent n'en sont pas indemne. Le Cyclope est aveugle, les Sirènes vaincues, Circé se découvre manquante et aimante. Calypso de même. Le féminin d'Ulysse résiste à la colère des dieux, et, en retour Ulysse humanise ces créatures de l'oubli et de l'effroi, les affectant, rendant ineffaçable son passage. Peut-être crée-t-il des bouts de réel dans ces contrées où régnait jusqu'alors une pure culture de la pulsion partielle, dirions nous en nous payant le luxe de paraphraser Freud.

Après divers tâtonnements, reflets de ses tendances orthodoxes à conquérir de nouveau son commandement sur son propre destin, il revient pour régner en Ithaque. Et l'épouse Pénélope, obstinée et fidèle tapissière [21], brode et noue au fil du temps, au fil de cette attente qui va s'interdire l'espoir, une robe de durée, tissant, défaisant le tissage puis retissant, faisant et défaisant les nouages de sa toile, dessinant sur le canevas de son métier, par la berceuse rythmée de ses gestes contraires, le mouvement de vagues qui fluent et qui refluent. De même, le temps borde, d'avant en arrière, de solstices en équinoxes, les dix années du trajet d'Odysséus et de ses compagnons. Il est donc advenu à Ulysse de revenir et de pouvoir à nouveau se faire reconnaître comme Maître. Ceux qui prétendaient à sa place, ceux qui voulaient le pouvoir et la femme, vous le savez, il les aligne, comme on dit. Ce fut là se dernière épreuve, son ultime exploit.

La quête d'Ulysse et la construction d'un univers humain

Changeons de perspective. L'Odyssée ne se réduit pas aux trajets d'Ulysse. Le poème commence avec le projet du fils Télémaque de retrouver enfin la réalité de son Père. << Qu'est-ce qu'un Père ? >>, pourrait consister comme la question qui au poème donne son ressort dramatique. Nullement fantasque ou mythologique, cette question est portée par le premier voyager dont L'Odyssée nous conte le périple et la quête, Télémaque, le fils d'Ulysse. Elle fait se rejoindre, dans son empan ,les épisodes romanesques et fantasques du poème homérique. Réduire notre lecture de L'Odyssée aux pérégrinations d'Ulysse, revient à trahir cette œuvre. C'est méconnaître l'exigence de construction généalogique qui est en elle. C'est la chercher uniquement là où elle est devenue ce topos où surgit l'imparlable, la Voix pure du mortel appel, l'Oeil captateur et dévorateur, la non césure entre mort et vif. Il faut donc tenter de ressaisir dans L'Odyssée la logique où le récit est, dans son ensemble, une délicate et puissante machinerie d'interprétation du lien entre un fils et son père.

Le père est en exil et il est à venir. Tel est le point nodal, le principe du nouage entre le fils et le père. Ou, plus exactement, celui qui est en exil reste-t-il un père ? ou encore, comment interpréter pour un fils ce que le père doit à l'étranger ? La figure d'un père confié à la source du débridement pulsionnel et de l'imparlable pour y puiser les ressources créatrices qui sauvent le corps, le nom, le royaume et la filiation est le message le plus beau et le plus profond qui nous vienne d'Homère. La puissance de ce qui, de l'autre côté du cap Malée, sur et aux bords <<la mer brumeuse >>, est demeuré sans mémoire, sans récit, sans honneurs humains, trouve en Ulysse un principe de traduction et de fondation.

L'exilé héroïque doit reprendre, à chaque étape de son périple des lois purement humaines, et pour cela il ne cesse de s'approcher, au risque de s'y confondre, du mugissement de la Chose pour pouvoir enfin, et peut-être pour la première fois, parler en maître dans sa propre langue, dans sa propre maison. Nous dirons donc, par commodité qu'Ulysse refuse à se soumettre à la Loi de la Chose pour répondre à la loi du signifiant et qu'il arrive à cette victoire en jouant sur le registre du féminin, en se l'appropriant. En ce sens l'Odyssée qui, ne l'oublions pas, a pu être perçue comme la narration d'un pénitence, est un rattrapage in-extremis d'une faute. Quelle faute ? Celle d'une interprétation empêchée et passée à l'acte de ce qu'est un fils.

Ulysse, nous l'avons écrit, va payer par son déplacement, un acte : l'infanticide sur la personne d'Astyanax. Or, infanticide, Ulysse l'est doublement, ou, du moins, est-ce pour infanticide qu'il sera poursuivi par la colère de Posséidon, père et garde tutélaire des cyclopes. La souillure de l'infanticide est la cause de l'errance d'Ulysse. Porphyre, dans L'Antre des nymphes [22], bien avant tous les commentateurs avait entendu que le seuil par lequel Ulysse devait passer pour rejoindre Ithaque, le port où il avait à accoster, se nommait exactement comme se nommait le grand-père maternel du cyclope Polyphème : Phorcys[23] . << Il est un port dit de Phorcys, le vieillard de la mer, en ces terres d'Ithaque ; les deux falaises qui s'avancent … ils pénétrèrent donc dans ce port qu'ils n'ignoraient pas >> [24] .

Une fois Phorcys honoré, la colère de Posséidon se calme. Homère alors amplifie la figure de Posséidon. Il la réunifie. On trouve dans les Hymnes, cet ensemble souvent attribué à Homère et que je fais choix de lire avec les deux épopées, une extension certaine e la figure de ce Dieu dont le domaine s'élargit au-dealà des mondes des anamnèses marines empourprées de fureur. "L'objet de mes chants est, pour commencer, le grand Posséidon qui met en branle la Terre et la Mer inlassable, le dieu marin qui possède l'Hélicon et le vaste domaine d'Aeges : les Dieux t'ont attribué, Ébranleur de la Terre, le double privilège d'être dompteur de chevaux et sauveur de navires !" [25]. Posséidon, tout comme Ulysse, peut, après la purification obtenue par le passage du meurtrier au sein du nom du grand-père de sa victime, faire se rejoindre en la puissance de son royaume la Terre et la Mer. Posséidon, une fois l'offense lavée, reprend place."

Ce que le sujet Ulysse rencontre du Réel dévoile l'appartenance du nom à des lieux et à des lignées. Ce qu'il franchit et construit à mesure qu'il le franchit est le cap de la symbolisation des seuils. Il se pourrait que cette dernière étape, le passage qui honore le nom du fondateur d'une lignée (Phorcys) dont il a tué un descendant, lui permette d'advenir à la place d'une absence dont naît et renaît du père, et non plus de se confondre avec une absence mortelle.

La quête de Télémaque ou la fiction du père

Le privilège du fils n'est-il pas alors d'inventer et de soutenir cette naissance d'un père, cette interprétation du rapport du père à la violence et au meurtre. Télémaque ne serait-il pas alors celui qui se portant à la rencontre de son père devient le fils qui permet de renouer les fils d'une interprétation de ce qu'est un père. C'est bel et bien la présence de Télémaque qui fait consister Ulysse en tant qu'auteur d'un récit du nom, en bonne part à son insu. Si c'était le cas L'Odyssée tracerait la logique de la rencontre entre deux désirs : le désir d'Ulysse d'interpréter le meurtre, le désir de son fils Télémaque d'interpréter le père. L'opérateur qui permettrait l'articulation de ces deux désirs ne serait alors rien d'autre que le désir d'interpréter la mort d'un enfant comme possibilité pour un père comme pour un fils de passer à autre chose, soit une méditation partagée sur leur commune appartenance à un ordre des raisons, du logos. Ordre des raisons qui se maintient par un consentement transmis, de père à fils, au sacrifice d'une part infantile de soi. Tant qu'il restait un infanticide, Ulysse ne pouvait être père. Il fallait que son trajet qui a joint le monde de l'occulte au monde de la raison et du deuil institué, soit encastré dans un trajet plus vaste : celui d'un fils soucieux de rêver, puis d'inventer du père afin de la faire consister. Ce qui était à expier au plan Réel est aussi ce qui insiste et ne cesse pas d'insister au plan symbolique : soit la nécessité d'interpréter ce qui relie un père à un fils. Fénelon, auteur d'un puissant Télémaque (1698) et d'une traduction de l'Odyssée, également, ne s'y est point trompé. Et si le Télémaque de Fénelon a pu être qualifié par Sainte-Beuve comme de << l'antique ressaisi naturellement et sans effort par un génie moderne >>, opinion à laquelle nous souscrivons sans hésiter, nous pourrions presque affirmer qu'Homère déjà avait ressaisi la dimension du Mythos dans l'actuel et ouvert enjeu de la fiction paternelle.

S'il est alors bien question de réouverture de la métaphore paternelle, on ne se montrera pas autrement surpris de constater que ce sont effectivement les époques les plus disposées à reconstruire autrement le rapport à la figure du père qui furent les plus enclines à retrouver et à aimer Homère et son Odyssée .

Ulysse est un héros dont seule la Renaissance a pris à nouveau la mesure. L’homme de la renaissance est un homme qui, depuis Copernic, est décentralisé. Face au choix éthique, la renaissance ira jusqu’au bout. C’est à l’homme de refaire son être au monde en s’identifiant au point de vue de la spiritualité. Voilà, bien sommairement, le profil de la personne humaine qui se détache sur cette mise en pièces des références traditionnelles cosmologiques où microcosme était le recommencement à l’épreuve du bien et du mal d’un macrocosme contenant et intemporel. L’action du macrocosme sur le microcosme est nuancé ou nié. L’homme de la renaissance est seul. L’Europe médiévale condamnait le mépris des limites, le goût du dépassement et de la curiosité qui anima Ulysse. Dante désavouait l'excès d'Ulysse, ses ruses, ses audaces. Il tenait pour un manque de vertu la quête obstinée du héros, à connaître les sites extrêmes et à en revenir vivant, plus fort aussi face aux caprices divins et aux parjures des hommes [26].

la Renaissance valorise les “ passeurs ” les héros de la mythologie qui se vouèrent à l’aventure : Ulysse et Prométhée. Délivré brutalement des contraintes de la répétition rituelle de sa participation au grand livre du monde, des astres et de la nature, le profil éthique qui se dégage de cette valorisation est celui d’une spiritualité réconciliée avec l’avenir du Savoir, au risque de la mélancolie.

L'exil, le retour et l'impossible retour : autre version du << quand je serai grand >>.

Il est vrai que l'exil grec, l'exil classique de la Grèce classique, fait le tour des lieux de la mer Méditerranée (nous le savons depuis les premiers fragments de poésie grecque classique qui sont d'Archiloque). Avec Ulysse se chante une scénographie de l'attente et du triomphe solaire du retour.

Nous sommes loin de l'errance sans retour d'un Béllerophon Tel se nomme celui-là, moins connu par nous qu'Ulysse mais dont Homère dit le malheur au chant VI de L'Illiade.. Qui est-il ? Un héros. Fils de Glaucos et petit-fils de Sisyphe -certains tiennent à une autre version qui ferait de Posséidon son véritable père. Roi de Lycie. Au sommet de sa gloire il entreprit présomptueusement de se porter à hauteur du faîte de l'Olympe, en chevauchant Pégase, le cheval blanc ailé (dont Athéna lui fit présent, pour certains - c'est la version officielle -, cadeau de Posséidon selon ceux qui tiennent que ce dieu marin est bien le père du héros). Mais Zeus, irrité, envoya un taon qui faucha l'ascension et piqua Pégase sous la queue, de sorte que le cheval ruant, il jeta Bellérophon à terre. Désormais poursuivi par la "haine de tous les dieux" , Bellérophon après avoir chuté dans un buisson épineux, erra sur la terre, redoutant toute espèce de rencontre avec le moindre humain. Boitant, aveugle, solitaire et maudit il prit la fuite dans la plaine Aléienne [27]jusqu'à ce que la mort vint pour l'emporter [28]. Aucune Hospitalité n'a pu s'ouvrir à lui, sa filiation est là mise en arrêt[29].

De même nous sommes loin, dans L'Odyssée, de la mélancolie de solitude que, plus tard, les historiens grecs décriront à propos des soldats qui partiront conquérir sans espoir de retour. On pense ici à Alexandre le grand priant son conseiller en médecine des âmes, Aristote, de lui expédier des remèdes pour vaincre la mélancolie dont souffraient ses soldats qui savaient ne plus pouvoir mourir en terre grecque en raison de l'ampleur des routes de conquête qui s'ouvrait à cette armée formidable. On évoque aussi L'Histoire de la Guerre du Péloponèse de Thucydide, où chaque soldat est décrit dans sa singularité, dans un compte du un par un pour lequel singularité et particularité liées ensemble désignent des destins singuliers. Ces singularités de destins sont marquées de chagrin, ou d'ivresse maniaque, deux logiques de l'affect qui caractérisent ceux qui savent que leur exil ne les fera plus revenir au sol natal.

Le temps de l'Odyssée ne contient pas cette mélancolisation d'un << quand je serai grand >> équivalent au sacrifice du lien à sa terre.

Et ceci est une autre histoire. Elle concerne en plein nos modernités et les enfants de nos modernités …

Olivier Douville

[1]Psychanalyste, Maître de conférences en Psychologie clinique. 22, rue de la Tour d'Auvergne 75009 Paris

[2]poète épique et récitant, dans la Grèce dite <<primitive >> . Ce terme a pour étymologie le mot grec aaidos : chanteur.

[3] La question <<homérique>> divisa les partisans de l'unité et ceux qui, depuis l’abbé d'Aubignac (XVII° siècle, publié au siècle suivant) et F.A. Wolf (toute fin du XVIII ° siècle) doutèrent de l'existence d'un seul artiste et distinguèrent dans L’Iliade et dans l'Odyssée des <<couches >> diverses et disparates. Nous confessons volontiers ne pas posséder d'arguments probants, les uns comme les autres des tenants de cette querelle nous ennuyant davantage qu'ils ne nous persuadent.

[4] L'illiade et L'Odyssée. Quant aux Hymnes, l'ensemble fut encore plus tardivement connue: l'édition princeps date de 1488, elle fut publiée à Florence par l'érudit Démétrios Chalcondyle).

[5] Quintillien, Inst. Orat, X, 1, 49

[6] Étymologiquement, ce nom signifie le << bon génie >> qui préserve la maison et le bétail. Ce terme en vint à désigner le dieu-serpent, divinité qui pris, avec la fondation d'Alexandrie une importance extrême : dieu des esprits et, finalement, dieu du monde.

[7]La République, livre 2, 378

[8] cf note précédente. Les Hymnes Homériques sont une collection de 34 poèmes épiques. Pour certains des fragments, dont les plus anciens pourraient remonter à l'époque d'Hésiode. Si on peut attribuer à Homère la paternité de certains de ces Hymnes (cf. infra dans mon texte) la qualification d'Homérique provient de leur mètre commun hexamètre dactylique, vers de l'épopée

[9] Nous pourrions aussi noter qu'il a falu attendre deux traductions : celle de Flacelière et Bérard (1956) puis, surtout, celle de Jacottet (1982) - et belles toutes deux, elles sont à lire et à comparer- pour nous rendre enfin présent le style te le rythme d'un Homère riche et vivant, et rincer de la sorte l'Odyssée des fadeurs dont Leconte de Lisle l'avait affublée, dans le pire genre parnassien empli de préciosités et d’amphigouris. La traduction de Fénelon est, hélas, assez peu disponible.

La première édition de l’Illiade en français, est l’œuvre de toute la vie de Amadis Jamyn, ami et protégé de Ronsard, qu’il composa probablement sous les yeux du poète lors de leur séjour commun à Croixval. Jamyn conserve les onze premiers livres de l’Illiade traduits par Hugues Sahel, mais les revoit pour y substtituer les vers alexandrins au vers de 10 syllabes, augmente sa traduction des treize livres restants ainsi que des trois premiers livrers de l’Odyssée traduit eux par Jacques Peletier

[10] in La vie d'Homère

[11] un peu comme nos actuels W.C. Handy, Cheik Hampaté Bâ, ou encore Alan Lomax ou même le plus superficiel, mais peut-être un brin davantage connu, Bob Dylan.

[12] de même dans la Rome antique la déesse des potagers du Latium : Vénus ! . Elle fit du chemin depuis son assimilation au II° siècle av. J.-C. à la grecque Aphrodite, elle délaissa alors les jardins maraîchers

[13] On attribue à Ulysse lors de la guerre de Troie des actions <<viriles >> et héroïques ; or, s'il se montre un combattant de la plus grande vaillance. il est, en même temps, un conseiller prudent et efficace. Cette activité diplomatique se double d'entreprises d'espionnage. Ulysse n'a pas son pareil pour tromper son monde et jouer sur la duplicité du signifiant et de l'apparence. Un des principaux instigateurs du stratagème de l'idole de bois, il commande le détachement caché dans les flancs du cheval de bois, et met ses compagnons en garde contre la ruse d'Hélène qui vient rôder autour d'eux en imitant les intonations de la voix de leur épouses.

[14] Dans l'empan d'une vaste et vraie fantaisie, Lacan, avec un humour qui fait de plus en plus défaut à beaucoup de psychanalystes, invente une très jolie idée : la nostalgie de la parole qu'éprouvent les compagnons d'Ulysse, au seuil du domaine de Circé, alors qu'ils sont transformés en pourceaux. "Donc il sont transformés en pourceaux, et l'histoire continue. Il faut bien croire qu'ils gardent quand m^me quelques liens avec le monde humain puisqu'au milieu de la porcherie - mais la porcherie est une société - ils se communiquent par de grognements leurs différents besoins, la faim la soif, la volupté, voire l’esprit de groupe. Mais ce n'est pas tout. Que peut-on dire de ces grognements ? Et bien voici ce que j'entends. Les compagnons d'Ulysse grognent ceci - Nous regrettons Ulysse, nous regrettons qu'il ne soit pas parmi nous, nous regrettons sont enseignement, ce qu'il était pour nous à travers l'existence. Et que veulent faire croire, en grognant, les compagnons d'Ulysse transformés en pourceaux ? - qu'ils ont encore quelque chose d'humain. Exprimer en cette occasion la nostalgie d'Ulysse, c'est revendiquer d'être reconnus eux-mêmes, les pourceaux, comme les compagnons d'Ulysse. C'est dans cette dimension qu'une parole se situe avant tout. La parole est essentiellement le moyen 'être reconnu... C'est un mirage premier qui vous assure que vous êtes dans le domaine de la parole " - (J. Lacan Le Séminaire. Livre I Les écrits techniques de Freud (1953-1954, Paris Seuil 1975. Séance du 16 juin 1954 << La fonction créatrice de la parole >> page 263-264)

[15] d'autres traditions rajoutent aux fautes d'Ulysse la lapidation d'Hécube, mais à l'époque d'Homère, Hécube, seconde femme de Pryam, n'était pas encore devenue la divinité de la majesté et du malheur.

[16] la cuisson est un des plus vieux et des plus puissants symboles du travail du langage (cf C. Lévi-Strauss : Le cru et le cuit)

[17] L'Odyssée, chant X, vers 497 et 503

[18] Robert Graves, Les Mythes grecs, Paris, Le Livre de Poche, page 442 (Tome 2)

[19] que Blanchot feint de stigmatiser (Le Livre à venir, Paris, Gallimars, 1959 pages 10 à 14)

[20] j’insiste encore sur l’extrême habileté qu'avait Ulysse à discriminer les imitations qu'Hélène faisait des voix des femmes de ses compagnons guerriers, de la réelle voix de ces épouses.

[21] Bien qu'elle ait marquée un net faible pour un de ses prétendants en la personne d'Aphinomos de Doulichion, jamais ne cessa-t-elle de "vaguer" à sa tapisserie

[22] traduit du grec par Y. Le Lay, d’après le texte nouvellement établi par le séminaire "classics" de l’université de Buffalo. Lagrasse Verdier, 1989. Texte que nous avons travaillé avec Okba Natahi dans notre séminaire au Cercle Freudien

[23] le "beau-père" de Posséidon, en la circonstance de l'alliance entre Posséidon et la fille de Phorcys, la nymphe Thoosa !

[24] chant XII, vers 96 et 87, vers 113 (souligné par moi)

[25] "Hymne à Posséidon" in Hymnes, (texte établi par Jean Humbert), éditions Les Belles Lettres, 1959, page 217)

[26] "Quand je pris congé de Circé, qui me dissimula plus d'un an près de Gaète, c'était avant qu' Énée lui ait donné ce nom, ni la douceur de mon enfant, ni le sentiment de pété pour mon vieux père, ni le devoir d'amour qui aurait du donner joie à Pénélope, ne purent surmonter en moi l'ardeur que j'eus à devenir du monde son expert et des vices des humains et de leur valeur, mais je me mis par la haute mer ouverte seul avec un bâtiment et avec cette compagnie réduite qui jamais ne m'abandonna.." Dante L'Enfer (L'Inferno) chant XXVI, 8° cercle : Conseillers perfides, enveloppés de flammes.

[27] La plaine Aleion, en Cilicie, est citée par Hérodote VI, 95. Elle s'étendait de l' Euphrate eu Tarse. une schlolie d'Homère donne une jolie mais fausse étymologie. "La plaine Aleion de Cilicie, ainsi dénommé en raison de l'errance de Bellérophon ". Traduction édulcorée, depuis Cicéron et jusqu'à Burton "Marchait, parcourait les fôrets, triste et solitaire, Rongeant son cœur, fuyant la compagnie des hommes".

[28] "Mais quand il fut en proie à la haine de tous les dieux, alors à travers la plaine Aléienne seul il errait, mangeant son coeur, évitant le pas des humains" (l'Illiade, chant VI)

[29] le figure et le destin de ce héros étaient tout à fait familiers aux théoriciens de l'âme et aux inventeurs de la psychologie occidentale des XV° et XVI ° siècle. Melenchton en fait un <<type >> de la mélancolie. Cette valeur emblématique et allégorique de ce malheureux héros, remonte aux premiers écrits théologiques qui tentent de définir la mélancolie comme acédia ou "lâcheté morale". En témoigne l'extrait d'un poème d'un contemporain de St Augustin (IV° - V° siècle)Rutilus Claudius Namatianus "Sic nimiae bilis morbum assignavit Homeus / Bellrephoteis solliciitudinibus / Nam iuveni offenso saevi post tela doloris / Dictur Humanum displicuisse genus" (Homère rangea dans la maladie due à l'excès de bile les affres de Béllérophon. Il a été dit que depuis qu'il avait été sous le coup d'une cruelle déception, ce jeune homme avit été dégoûté du genre humain). De reditu suo, V, 439 sqq. (Ch Kern and C.F. Savage, Londres, 1907)